Archive pour la catégorie ‘Argentine 2005’

L’hôtel des Piche s’effondre !!!

Lundi 28 mars 2005

Buenos Aires, 28 mars 2005

A la place du plafond un trou béant de plusieurs mètres.

Sur les lits et sur le sol, les briques et le plâtre forment une épaisse couche de gravats. Rue Bartholomé Mitré, à Buenos Aires l’hôtel Oriental vient de s’écrouler.

Pas totalement. Les chambres 207 et au delà sont effondrées, mais la 206, celle de Rose et Raoul Piche est intacte !

Pour l’heure personne ne le sait, pas même les pompiers. D’où l’interdiction faite aux Piche de pénétrer dans la bâtisse pour récupérer leurs affaires avant de trouver une auberge plus solide.

Au moment fatal, Rose et Raoul dînaient à l’extérieur comme la plupart des locataires de l’hôtel. Il n’y a donc eu aucun blessé. Vers minuit et demi, accompagnés du directeur de l’hôtel et d’un pompier, Rose et Raoul pénètrent enfin dans le bâtiment pour prendre leurs bagages. C’est à ce moment là qu’ils découvrent les dégâts en même temps que le directeur qui fait une drôle de tête, il n’est pas assuré !

En début de soirée un très violent orage venait de s’abattre sur la ville. A côté de l’hôtel Oriental, se trouve un parking  et à côté du parking une grande excavation d’un chantier en construction. L’eau s’y est accumulée et a sapé les fondations du parking qui s’est totalement effondré aplatissant la trentaine de voitures garées là et entraînant dans sa chute des éléments de l’hôtel.

En revenant du restaurant, les Piche ont aperçu les lumières bleutées de gyrophares, le rouge des camions de pompiers et la foule qui se pressait dans la rue de leur hôtel. « Mince, il nous refont le coup de Mexico ! ».

Un an auparavant, jour pour jour, les Piche avaient été évacués de leur hôtel, à Mexico, le feu ayant pris dans le bâtiment voisin. Gyrophares, pompiers, police, badauds.

Mais, non, cette année il s’agissait d’une variante.

Ayant survécu à un tremblement de terre (San José, Costa Rica, janvier 2004), à un naufrage (Tonlé Sap, Cambodge, février 2002), à un incendie (Mexico, avril 2004), à un effondrement (Buenos Aires, avril 2005) les Piche se demandent s’ils vont aller en Chine l’an prochain.

La dernière partie de leur voyage en Argentine a été placée sous le signe de l’eau.

Car avant d’éprouver les pluies diluviennes de Buenos Aires, les Piche ont apprécié les chutes d’Iguazu. Ce ne sont pas les plus hautes, ni les plus grandes mais certainement les plus belles du monde.

Aux confins du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine les chutes d’Iguazu composées de 273 cataractes sont particulièrement  belles car très découpées et inondées de végétation. Rose et Raoul les ont parcourues en tous sens côté Argentin comme Brésilien tantôt les dominant, tantôt plongeant dedans grâce aux bateaux qui s’enfoncent sous elles.

Prévoyante Rose était en maillot de bain, Raoul lui en est ressorti entièrement lessivé, l’avalanche d’eau qui s’abat sur l’embarcation étant bien plus dense qu’une vulgaire douche. Le site remarquablement aménagé permet d’en découvrir les innombrables facettes de près, de loin et d’embrasser l’ensemble de ce panorama complexe, bruyant, agité mais surtout extraordinairement beau.

De retour à Buenos Aires, pour leur dernière semaine de séjour, les Piche se sont consacrés à un « rattrapage » culturel : concert lyrique au théâtre Colomb qui rappelle l’Opéra de Paris, semaine du nouveau cinéma français ! Spectacles de tango, musées, etc.

Leur maîtrise insuffisante du Castillan les a retenus d’aller au théâtre bien que l’offre soit plus qu’abondante. Avec 200 théâtres, Buenos Aires revendique le titre de première ville de langue espagnole au monde pour le nombre de théâtres. Raoul se demande ce qu’en pense Madrid. (« Hou, hou, Inès qu’en pense Madrid ? »).

Finalement, après avoir effectué, durant trois mois, 15000 km sur les pistes et les routes d’Argentine et du Chili, découvert des paysages qu’ils n’avaient jamais vus ailleurs, rencontré des gens naturellement accueillants, agréables et souriants les Piche ont repris le chemin de l’Europe tout à la joie de retrouver les leurs et de se rapprocher de leurs amis.

Un extraordinaire paysage 100% minéral avec toutes les nuances de l’arc en ciel !

Vendredi 18 mars 2005

Salta, 18 mars 2005

Changement radical pour les Piche, finis les paysages européens sous des cieux argentins.

Ils les troquent pour des sites lunaires et martiens hallucinants, si extraordinaires qu’ils ont été classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.

Ichigualasto est une zone très singulière investie par les chercheurs car lors des glissements des plaques tectoniques qui ont donné naissance à la cordillère des Andes, ici, le sol a été soulevé et couché, mettant à jour les couches sédimentaires les plus profondes ce qui permet de lire l’histoire de la terre à livre ouvert sur plusieurs centaines de millions d’années.

Quatre cents squelettes fossiles on été découverts dont celui du plus ancien dinosaure connu (225  millions d’années) à défaut d’être le plus spectaculaire (il ne mesure que trois mètres). Sous quasiment n’importe quel pli rocheux on peux voir des empreintes fossiles.

Les premiers paysages aperçus par les Piche dans cette fracture si particulière évoquent la lune et ses cirques gris et blancs (Ichigualasto a été surnommé la vallée de la lune). Plus loin, le gris lunaire le cède au rouge martien.

Les Piche entrent dans le parc de Talampaya aux étranges formes rocheuses façonnées par toutes les érosions imaginables, pluie, vent, rivières, glaciers, mouvements de la croûte terrestre. Le résultat est fascinant : ici une mur rouge, lisse se dresse sur 150 mètres de haut, là une autre paroi aussi haute, aussi rouge mais creusée sur toute sa hauteur en forme de goulotte verticale de 15 mètres de diamètre, là-bas une falaise massive, rouge également, tellement sculptée par les érosions qu’elle est baptisé “la cathédrale”.

Durant six heures, les Piche évoluent dans ces sites extra-terrestres en compagnie de chercheurs qui leur font réviser leurs cours de géologie de la sixième à la terminale. D’excellents pédagogues dont Rose rêve qu’ils enseignent un jour à tous les enfants de la terre en ces mêmes lieux tant ils donnent envie de comprendre et de décrypter ce qui s’offre au regard.

Plusieurs centaines de kilomètres plus au nord, à la limite de la frontière Bolivienne, les Piche ont à nouveau rendez-vous avec la géologie et aussi avec l’histoire. Pendant quatre jours ils parcourent en voiture 1000 km dans les vallées Calchaquies au sud de Salta et dans la Quebrada de Humahuaca au nord de la même ville (autre patrimoine mondial de l’humanité).

Dans ces lieux, la nature élargit sa palette de couleurs, fini le rouge martien uniforme, les plis rocheux alternent les teintes jaunes, rouges, vertes, violettes, roses, blanches avec des nuances qui varient en fonction de la position du soleil !!

Sidérant.

Lorsque le ciel est  nuageux, ces changements s’effectuent de minute en minute au rythme des percées et des occultations du soleil. Encore un spectacle de la nature difficile à emprisonner dans un boîtier photographique tant il est grandiose et changeant. Ce qui n’empêche pas Raoul d’essayer, en multipliant les vues panoramiques.

Historiquement ces régions sont l’équivalent indien du village d’Asterix. Elles ont toujours résisté à l’envahisseur.

Les Espagnols qui ont exterminé tous les occupants du cône sud, ne sont jamais parvenus à soumettre vraiment les Calchaquies et les Quechuas lesquels forment aujourd’hui l’essentiel des habitants des villages de ces vallées. Ici, on vend des jeux d’échec dont les pièces représentent d’un côté l’armée espagnole, avec le roi d’Espagne et de l’autre les tribus indienne avec comme chevaux des guanacos (lamas)…

Les maisons sont en briques de torchis séchées au soleil avec des colonnades et des arcades façon coloniale. Rose et Raoul font des haltes dans ces villages d’un calme inhabituel pour eux. A Molinos quelques enfants font du vélo dans le jardin de la place centrale, ailleurs personne, une jeune fille passe, un long moment plus tard une automobile longe lentement le jardin, presque sans bruit, ensuite rien, aucun mouvement, les Piche entendent les oiseaux, les enfants, l’eau qui s’écoule d’une fuite du réservoir central, ploc, ploc, ploc.

Il est 18 heures assis sous un grand arbre les Piche contemplent cette immobilité et écoutent ce quasi silence puis ils partent d’un éclat de rire bruyant qui trouble la tranquillité du lieu.

Ils viennent de réaliser, ensemble, dans cet instant étrange, qu’ils ne supporteraient pas longtemps une telle sérénité.

Ils trouvent à se loger chez une habitante.

Au réveil personne.

La porte de la maison n’est pas fermée. Un mot sur la table de la salle a manger s’adresse à Rose “Madame, je travaille à l’hôpital, demandez Maria” sous entendu pour payer la nuit. A Molinos le degré de confiance est de 100% et la délinquance égale à zéro.

Pour parvenir à Molinos, les Piche ont roulé sept heures sur une superbe piste étroite et ont franchi un col à 3300 mètres d’altitude.

A son sommet ils contemplaient la vallée lorsque soudain… le condor passa.

Evoluant en contrebas, il vole uniquement en planant, il gagne de l’altitude, passe au dessus des têtes de Rose et de Raoul puis s’éloigne toujours sans un battement d’aile, majestueux, tournant la tête de droite et de gauche pour localiser le repas de midi. La force aérienne tranquille.

Sur la piste des “zorros” (renards gris) aux épaisses queues soyeuses traversent devant la voiture remémorant à Rose le magnifique manteau du même métal qu’elle n’a pas acheté à Calafate en Patagonie.

Revenu à Salta les Piche s’offrent une journée de flânerie dans cette ville si plaisante avec son architecture coloniale, ses terrasses de cafés, ses places ombragées, ses rues piétonnes et ses restaurants riches en spécialités locales.

Au marché, Rose se dirige vers un étal de légumes et se saisit d’une carotte :

- Combien, la carotte ?
- Une seule ?
- Oui, c’est pour humidifier mon tabac
- Oh! alors si c’est pour vous humidifier le tabac, je vous l’offre lui lance le vendeur avec un large sourire.

Rose fait deux pas puis explose de rire lorsqu’elle réalise…

L’obésité, un marqueur social

Dimanche 13 mars 2005

Salta, 13 mars 2005

“Je reviendrai en politique et je me représenterai à l’élection présidentielle, a déclaré Lionel Jospin”.

Ce scoop, les Piche ont été le dénicher à Valparaiso où Lionel Jospin les a précédés de neuf mois. Il aurait tenu ces propos lors d’une discussion privée avec le propriétaire d’un restaurant français, “Le Filou de Montpellier” qui s’est empressé de les rapporter à Rose et Raoul.

Des photos attestent du passage de “Lionel” dans le restaurant…

Pour les Piche “Le Filou de Montpellier” boucle la boucle car après avoir traversé la Bavière à Puerto Montt au Chili, la Suisse à Bariloche en Argentine, le Languedoc à Mendoza voilà qu’ils se retrouvent dans un restaurant tenu par un Français de Mauguio, leur lieu de résidence !

Au hasard des rencontres, le voyage leur a encore réservé une bonne surprise celle de Jean-Guy et Jean-Yvon. Ex-prof et ex-directeur a l’Université de Montréal, les deux Jean ont décidé avant 55 ans qu’ils avaient suffisamment travaillé et qu’il était temps de voir du pays.

Une intime conviction renforcée par une étude canadienne montrant que les caisses de retraite payent en moyenne durant 5 ans ceux qui cessent leur activité à 65 ans, 12 ans ceux qui s’arrêtent à 60 ans et… 25 ans ceux qui le font à 55 ans.

Jean-Guy et Jean-Yvon souhaitent coûter le plus cher possible à leur caisse de retraite. Et comme les voyages forment la jeunesse, ils voyagent un maximum en traquant les croisières “discount” sur Internet. Leurs dernières en date : Valparaiso Buenos-Aires, trois semaines pour 2800 dollars américains et Gênes Bangkok via le Vietnam  (www.vacationstogo.com).

Ils rajeunissent à vue d’oeil .

Avec les deux Jean, les Piche ont visité les caves viticoles autour de Mendoza. Dans l’une d’elles, la bodega Weinert, les Jean ont rencontré des compatriotes venus en Argentine acheter un vignoble. Des professionnels bien informés. Ils indiquent aux Jean que le soit disant propriétaire Brésilien de cette exploitation est en réalité un nazi bon teint débarqué dans les années quarante avec une montagne d’argent.

A la dégustation, les Piche ont trouvé au vin Weinert un arrière goût amer…

Au détour de discussions aussi variées que joyeuses, les Jean, voyant Rose rouler ses cigarettes, apprennent aux Piche qu’au Canada le fait de fumer est un signe d’appartenance “aux classes les moins instruites de la société”. Une remarque qui trouve un écho chez les Piche, sans pour autant freiner l’ardeur tabagique de Rose.

En effet, en cours de voyage ils ont eux-même noté quelques signes d’appartenances sociales. Ainsi, l’obésité, très commune au Chili, concerne les familles les plus pauvres au point que des campagnes nationales de santé publique tentent de redresser la situation. A Santiago du Chili, il suffit de passer des quartiers populaires aux zones résidentielles pour en avoir l’étonnante démonstration.

Ce qui amène la remarque suivante de Raoul :

- Autrefois, les riches, bien nourris étaient gros, les pauvres maigres. Grâce à Coca Cola, aux hamburgers et aux crèmes glacées les pauvres sont toujours aussi pauvres mais ils ressemblent aux riches d’avant.

Le téléphone cellulaire est en passe de devenir un autre marqueur social : moins les gens paraissent avoir de moyens plus ils exhibent cet outil tout comme le faisaient les premiers à pouvoir s’en payer un lors de son apparition.

Pour sa part Rose observe que le nombre d’enfants frappés de maladies génétiques (mongolisme, malformations lourdes…) paraît bien plus élevé qu’en France.

- Je me demande si l’interdiction de l’avortement n’en est pas la cause, s’interroge-t-elle, scandalisée.

En Argentine, le débat sur l’avortement est d’actualité. En réponse à un ministre affirmant que le pays devait évoluer sur ce sujet, l’évêque de Buenos Aires a déclaré que “ceux qui s’en prennent aux enfants méritent qu’on leur attache une pierre autour du cou et qu’on les jette à la mer”.

Exactement ce qui a été fait du temps de la dictature avec les opposants, jetés par milliers dans le Rio de la Plata depuis des avions, comme le rappelle “Clarin” le quotidien national. Autant dire que les propos de l’évêque ont provoqué un scandale qui a fait la “une” durant plusieurs jours.

Jusqu’au scandale suivant.

Celui de la compagnie aérienne “Southern Winds”, financée par l’Etat, dont on vient de découvrir qu’elle transportait de la drogue vers l’Espagne depuis trois ans avec la complicité des autorités de l’aéroport de Buenos Aires !

A Salta, où les Piche se trouvent, ce sont les professeurs en grève qui manifestent, trouvant qu’un salaire de 130 euros par mois, inférieur à celui d’un gardien de nuit, c’est tout de même un peu juste.

Les Piche ne sont donc pas étonnés que dans les cafés les discussions politiques aillent bon train et que partout les gens lisent les journaux.

Pourtant, aucun n’a publié le scoop “Jospin”. Il a fallu que Rose et Raoul Rouletabille passent par là.

La route n°7 transperce la cordillère dans un paysage minéral surchargé de camions

Vendredi 25 février 2005

Mendoza, 25 février 2005

Au début les Piche ne sont pas dépaysés : des vignobles à droite, des vignobles à gauche, la route nº7 qui relie l’Argentine au Chili en franchissant la cordillère des Andes par un col à 3300 m d’altitude a des allures de RN 113 traversant le Languedoc.

Les vignes sont simplement plus soignées, mieux organisées avec des ceps qui montent haut pour faciliter la cueillette. Elles produisent d’excellents vins que Rose et Raoul ont dégusté dans plusieurs caves et au restaurant.

Après les vignes, la route nº7 traverse les pré-Andes en suivant un torrent chocolat qui s’écoule puissamment et finit par remplir, tel un bol géant, le lac de barrage qui interrompt son cours.

Une vieille voie ferrée, parfois ensevelie sous les éboulis, parfois suspendue dans le vide lorsque le sol se dérobe sous elle, chemine de conserve avec la route et le torrent. Tous les trois progressent lentement vers le col dans ce qui fut une vallée glacière.

Finie la végétation, la route nº7 entre dans le règne du minéral. Les collines environnantes prennent progressivement de l’altitude et virent au rouge, au jaune, au gris, au noir, au vert. Les parois rocheuses tantôt lisses, tantôt sculptées par l’érosion s’affaissent à leurs bases en éboulis grandioses.

A 2700 m une station de ski  avec ses télésièges et cinq ou six hôtels aux toits étrangement vert pomme dans un paysage de rochers et de cailloux. Les Piche empruntent un de ces télésièges en songeant qu’au même instant, en Europe, d’autres font pareil, les skis aux pieds, dans le blanc de l’hiver.

A 2800 m, nouvelle halte au pont de l’Inca où des sources thermales d’eau pétrifiante ont réussi à jeter un pont de pierre au dessus du torrent chocolat avec la complicité du glacier millénaire (en s’écoulant sur la glace, l’eau pétrifiante a créé une couche de pierre qui s’est épaissie avec le temps. Lorsque le glacier a fondu, il a laissé le vide sous cette couche, faisant apparaître un pont).

Plus l’altitude s’élève, plus la voie ferrée manifeste de faiblesses, résultats des attaques de la neige, de la glace, des chutes de roches et des tremblements de terre. Pourtant, elle fut pendant longtemps le principal moyen de communication vers le Chili.

Aujourd’hui, ce rôle est tenu par la route nº7 par laquelle transite le trafic de marchandises venu du Brésil, du Paraguay, d’Uruguay et d’Argentine pour s’embarquer à Valparaiso vers l’Asie.

A l’approche du col, entre deux collines apparaît un massif enneigé, l’Aconcagua. Grosse déception de Rose et de Raoul, ” c’est donc ça l’Aconcagua, le seul 7000 m d’Amérique ?”. Il est vrai que son sommet formé par une crête horizontale n’offre pas la vision saisissante du Fitz Roy ou des pics de Torres del Paine pourtant bien moins hauts.

Parvenus au col à 3300 m, les Piche en veulent plus et prennent l’ancienne piste qui grimpe à 4000 m  en d’impressionnants lacets plongeant sur un vide effrayant qui ne laisserait aucune chance si par malheur…

Revenus sur la route nº7, les Piche franchissent la frontière avant de plonger vers la plaine chilienne par une nouvelle succession de lacets qui font perdre 1000 m d’altitude en rien de distance.

Dans la plaine le bus retrouve la chaleur, la végétation, les lignes droites.

Ce soir Rose et Raoul dormiront à Valparaiso.

Jugements à l’emporte pièce sur les argentins et les chiliens

Lundi 14 février 2005

Castro, île de Chiloé, 14 février 2005

Les Piche sont en Argentine à cause des Argentins.

Ceux qu’ils ont rencontrés en France et lors de précédents voyages étaient ouverts, curieux, souriants, attentifs et parlaient si bien de leur pays que Rose et Raoul ont eu envie de les rencontrer sur place.

Après plus d’un mois en Argentine, les Piche perçoivent les Argentins comme il les imaginaient. Les rapports avec eux sont faciles. Ils sont indulgents avec les étrangers qui parlent mal leur langue, ils n’hésitent pas à les aider et les commerçants ne cherchent pas à toute force à leur vendre leur marchandise. Bien au contraire.

Rose qui fait sienne le précepte selon lequel “il faut se méfier de sa première impression car elle est souvent la bonne” a rapidement porté un avis différent sur les Chiliens. “Ils sont moins aimables, moins souriants, assez indifférents et ne cherchent guère à rendre service”. Et toc !

Mais il y a beaucoup plus grave aux yeux de Rose : “les Chiliens ne proposent que du Nescafé en poudre! Alors qu’en Argentine on boit de véritables expresso à l’italienne”. Et d’ajouter que leur castillan est difficile à comprendre et le pays cher.

Raoul a beau souligner qu’une incursion au Chili  ne suffit sans doute pas à condamner tout un peuple, rien n’y fait.

Après, un passage en Argentine, Rose, de retour au Chili, persiste et signe.

A Chaiten, une rencontre avec une Québécoise (anti Bush, anti papiste comme tous les Québécois rencontrés par les Piche) connaissant parfaitement les deux pays scelle définitivement le sort des Chiliens car elle partage entièrement l’avis de Rose.

Le chauffeur de bus chilien qui durant 13 heures a commenté le paysage exceptionnel de la piste australe avec tant de gentillesse et de joie de vivre devait avoir du sang argentin, de même que Magali à Castro, si accueillante et si prévenante, sans parler d’Eugénia qui a servi de guide aux Piche pendant quatre jours sur l’île de Chiloé.

Ou alors c’est à croire que toute généralité porte en elle sa part de contre vérité.

Est-ce possible?

Une dent de granite aussi superbe que mortelle

Mardi 1 février 2005

El Chalten, 1 février 2005

Rose et Raoul Piche ont payé le prix mais ils l’ont vu.

Le prix : huit heures de marche dont deux sur une très forte pente.

La vue : le Fitz Roy, une canine de granit de 3400 m de haut, entourée d’autres pointes acérées à peine moins élevées.

A leurs pieds, des glaciers qui viennent mourir dans des lacs tantôt bleus comme la Méditerranée tantôt verts comme des lagons. Au bord de ces lacs, de la rocaille, sur elle, alanguis au soleil, admiratifs, les Piche.

On imagine volontiers ce paysage dans les Alpes, à haute altitude ou dans l’Himalaya plus haut encore. La singularité des Andes australes est d’offrir ces splendeurs à seulement 1200 mètres d’altitude, accessibles aux simples randonneurs. Les glaciers que les Piche contemplent sont des terminaisons de l’immense glacier de Patagonie long de 400 Km installé à 1500 m seulement au dessus du niveau de la mer.

Chanceux, Rose et Raoul bénéficient d’une météo rarissime, peu de nuages (tous les sommets sont dégagés) et surtout peu de vent.

Le vent ! Sans lui, la Patagonie ne serait pas la Patagonie. Il y est soit fort, soit très fort, soit violent, jamais léger, jamais inexistant. Il sculpte les rares arbres, surnommés “banderas” (drapeaux) parce que leur ramure est repoussée par le vent d’un seul côté du tronc.

Haut lieu des randonneurs venus de tous les continents, El Chalten, petit village au pied du Fitz Roy est aussi le rendez-vous des meilleurs Andinistes de la planète (ici, le mot Alpiniste n’existe pas). Le défi n’est pas l’altitude du Fitz Roy, mais sa paroi lisse, verticale et glacée de 2000 m qu’il faut vaincre pour atteindre le sommet, en s’arrêtant lorsque le vent devient violent. On dort alors suspendu dans le vide … en attendant que ça passe. Nombreux sont ceux qui ont laissé leur vie à cette aventure.

Créée il y a 18 ans, El Chalten conserve une allure de ville de pionniers avec ses rues caillouteuses, poussiéreuses le long desquelles les maisons espacées semblent attendre les nouveaux venus.

Pas de cimetière. Aucun habitant n’étant encore décédé, personne n’en a vu la nécessité.

Les vaincus de la montagne sont rapatriés chez eux. Une chapelle du souvenir a été dressée pour eux dans l’axe des massifs et les sommets portent leurs noms ou ceux d’autres aventuriers des Andes : Saint Exupery, Mermoz, Guillaumet, Poincenot, Egger, etc.

Les Piche ne sont pas jaloux. Ils font l’objet de la plus grande sollicitude de la part des rangers du parc Los Glaciares. Tout au long des pistes sont installés des panneaux où est écrit “Piche observe y conserve !” (Piche observez les, préservez les !).

C’est gentil.

En revanche, Rose et Raoul ne comprennent pas pourquoi ce touchant appel s’accompagne du dessin d’un tatou, une espèce d’animal préhistorique en voie de disparition, assez hideux.

C’est moins gentil. Les Piche sont bien plus beaux que ça.

Un glacier qui claque, craque, crie et crépite

Dimanche 30 janvier 2005

El Calafate, 30 janvier 2005

La falaise de glace bleutée se dresse, verticale, à 60 mètres au dessus de la surface du lac sur un front de cinq kilomètres.

Du jamais vu pour les Piche, sidérés.

Soudain, des claquements secs, comme si des chasseurs traquaient du gibier dans les gigantesques indentations de cette mer figée qui s’étend sur 30 km. Puis, des bruits sourds mais puissants comme lorsqu’un wagon en heurte un autre dans une gare de triage. Le silence, durant deux minutes, rompu par un grondement de tonnerre qui roule à n’en plus finir.

“Oh! là, regarde, ça s’écroule “.

Raoul n’a pas le temps de finir sa phrase qu’un pan entier de glace s’effondre dans un fracas qui déchire l’air.

Les vagues formées par les tonnes de glace qui plongent dans le lac sont elles mêmes sonores et ne s’apaisent qu’après plusieurs minutes.  Le glacier Perito Moreno sur le lac Argentino, en Patagonie, est vivant et bien vivant.

Le spectacle est total : la vue, l’ouïe et le toucher sont sollicités (le vent glacé porte lui aussi l’empreinte du glacier).

S’il claque, craque, crie et crépite c’est que le Perito Moreno subit d’énormes pressions. En avançant de 2 mètres par an, il bloque une rivière qui pousse, pousse, pousse et finit par briser l’obstacle.

En mars 2004 des dizaines de milliers de tonnes de glace se sont effondrés d’un seul coup dans un invraisemblable fracas devant des centaines de personnes.

Dans les jours qui précédaient la visite du glacier, les Piche se délectaient d’un autre panorama grandiose, celui du parc national Torres del Paine en Patagonie Chilienne.

Là, les falaises de glace sont remplacées par des aiguilles de granite aux bords acérés qui se projettent à plus de 2500 mètres de haut et par des montagnes enneigées couvertes de glaciers. Comme si cela ne suffisait pas, la nature a placé au pied de ces massifs des lacs couleur de jade, une végétation presque verdoyante et au dessus des têtes un ciel tourmenté où le bleu azur le dispute au blanc pur des nuages qui défilent.

Six heures de marche dans ce décor n’ont pas suffi à rassasier les Piche. Raoul  prenait dix fois le même cliché persuadé n’avoir jamais eu “cette lumière là”, “cet angle de vue” espérant vainement mettre en boîte toute ces beautés.

En se dirigeant vers l’autobus de retour, Rose se prit à philosopher:

-Jamais le plus créatif des artistes ne pourra réaliser une oeuvre aussi grandiose, aussi complexe dans ses formes que subtile dans ses nuances.

- Un homme sans doute, lâche Raoul, mais un être supérieur…

- Va te faire voir avec ton être supérieur.

Fin de la minute de philosophie.

Ushuaïa terre d’aventure ? Hummmm…

Samedi 22 janvier 2005

Usahuaïa, 22 janvier 2005

Par 54º52′ de latitude sud et 68º de longitude ouest, à moins de 60 miles du cap Horn, en plein cinquantièmes rugissants, le “Barracuda” fait route au 260º.

A sa barre, Raoul Piche.

Le vent est contraire, les hauts fonds nombreux. Malgré tout, la destination finale, Ushuaia dans le canal de Beagle, devrait être atteinte en fin de journée.

Autour du navire le paysage est imposant: montagnes, glaciers, arbres couchés par le vent, îlots peuplés de lions de mer, de cormorans royaux, de mouettes. L’aventure du grand sud.

Lisant ces lignes Rose s’écrie,

- C’est fou comme sans mentir, on parvient néanmoins à suggérer une réalité autre que la réalité.

Une relation plus conforme serait la suivante, précise Rose.

A la barre du “Barracuda”, un promène couillon qui emmène les touristes pour des ballades de la journée sur le canal de Beagle, Raoul prend la pose le temps d’une photo. Très vite, le capitaine qui lui a gentiment cédé sa place pour ce cliché souvenir, reprend les commandes. Parti de Ushuaia à 15h, le bateau sera de retour à 18h précise comme chaque jour. Avec ses deux puissants moteurs, le vent contraire ne lui pose aucun problème, ni les hauts fonds que le capitaine connaît par coeur.”

- Que tout ça manque de poésie et de parfum d’aventure! déplore Raoul

Ushuaia, la ville la plus australe du monde, n’est-elle pas synonyme d’aventure ?

Elle ne l’est plus guère. Hormis pour les quelques navigateurs qui s’en servent de base pour gagner l’Antarctique.

La visite du musée maritime en apprend beaucoup sur les marins qui ont navigué dans ces eaux pour les reconnaître et les cartographier. Mais la terre est si inhospitalière qu’aucun n’a cherché a débarquer pour y établir de “colonies”.

Tout au plus l’Argentine a-t-elle eu, tardivement, l’idée d’y implanter un bagne et les missionnaires de convertir les rares indigènes. Enfermer les corps et les esprits semble pendant longtemps  avoir été la seule vocation de ces territoires difficiles.

La carte des naufrages, éloquente, ne dit cependant pas tout. Bon nombre des fortunes de mer  ne doivent rien aux tempêtes.

Ainsi le clipper “Duchess of Albany” a été drossé à la côte… par absence de vent dans un lieu ou le courant atteint 8 noeuds !

Le “Monte Cervantes”, un vapeur avec 1200 passagers (tous sauvés) a coulé en heurtant un écueil à moins de cinq miles du quai d’Ushuaia par beau temps.

Mais surtout, lorsqu’il est devenu évident que la vapeur allait l’emporter sur la voile, les armateurs ont “organisé” des naufrages à tour de bras pour toucher les primes d’assurance et remplacer leur navires. Qui aurait osé contester un naufrage en Terre de feu ?

De retour d’une randonnée dans le parc national de Terre de feu, envahie par les castors qui édifient d’impressionnants barrages de plusieurs dizaines de mètres de long sur deux de haut (comment font-ils?) et d’innombrables lapins absolument pas apeurés, Raoul entend Rose s’exclamer :

- Je veux un sous-marin. Tu fais ce que tu veux, mais moi je prends un sous-marin.

Raoul regarde Rose d’un air angoissé, “aïe, elle ne supporte pas l’air des glaciers”.

Voyant son inquiétude, Rose précise :

- Un sous-marin, ici, c’est un chocolat chaud. On te sert du lait et séparément une barre de chocolat en forme de sous-marin que l’on fait fondre dans le lait.

Pour les Piche, l’aventure marine à Ushuaia se limite pour l’essentiel à mettre en immersion un sous-marin en chocolat dans un verre de lait…

Quelle pitiée !

Une ligne droite de 3000 km, bordée de fil de fer

Jeudi 20 janvier 2005

Ushuaïa, 20 janvier 2005

La pampa, la Patagonie, les Piche en avaient  une idée. Mais comme souvent la réalité n’a pas la même saveur.

Sinon, pourquoi voyager?

Très vite après avoir quitté les faubourgs de Buenos Aires le paysage s’installe.

Une route rectiligne sans aucun relief à l’horizon pour fixer la vue, des champs apparemment sans limites et, de temps à autres, des vaches ou des moutons. De rares bourgs et presque aucune ville. Sur 3000 km les seuls changements viennent de la végétation.

Les cultures disparaissent assez rapidement pour laisser place à des buissons épars et à une herbe rase. Plus de vaches. Seuls subsistent ici et là quelques moutons, des guanacos (lamas), des chevaux, parfois des choiques (autruches) mais tous en nombre réduit.

A une cinquantaine de mètres, de chaque côté de la route rectiligne, une clôture; 3000 km à droite, 3000 km à gauche, sur cinq rangs… 30000 km de fil de fer!

Les estancias (ranchs) ont des superficies gigantesques pouvant atteindre celle de la Belgique. Mais jamais aucun bâtiment n’est visible depuis la route. Tous sont au delà de l’horizon.

Plus le bus pénètre dans le sud de la Patagonie, plus les buissons perdent d’ampleur jusqu’à devenir des touffes maigrichonnes qui finissent par disparaître complètement pour ne laisser subsister qu’une herbe jaunie dont même les moutons ne paraissent pas se régaler.

Les bourgs ne sont qu’un lointain souvenir depuis longtemps et les rares villes sont distantes de centaines de kilomètres. Dire que la route est monotone relève de la litote.

Par bonheur, les autobus argentins sont modernes, rapides et confortables.

Les sièges se transforment presque en couchettes si bien que les Piche ont subi sans trop de peine les 20 heures de ligne droite de Buenos Aires à Puerto Madryn, puis les vingt autres heures de rectitude jusqu’à Rio Gallegos. Et, si de là, ils ont pris un avion jusqu’à Ushuaïa, ce n’est que parce qu’il leur aurait fallu attendre un bus durant trois jours, ce que ne mérite pas Rio Gallegos.

En atterrissant à Ushuaïa, oh! surprise, de l’eau, de la neige, des montagnes!

La terre de feu, si inhospitalière paraît moins désertique que la Patagonie infinie.

Une démarche grotesque mais si rigolotte !

Samedi 15 janvier 2005

Puerto Madryn, 15 janvier 2005

L’Argentine est un pays de mammifères.

Il compte 66 millions de bovins, 38 millions d’humains, 34 millions d’ovins, deux Piche (un mâle et une femelle) et de nombreux mammifères marins.

La rencontre du couple Piche avec ces derniers a eu lieu à la péninsule de Valdès. Site classé au patrimoine mondial de l’humanité, la péninsule abrite les amours des lions de mer, des éléphants de mer, des baleines franches australes, des dauphins et héberge des colonies d’oiseaux aquatiques en queue de pie, les pingouins magellans.

Ebahie, la Piche femelle a suivi l’accouplement de lions de mer des préludes jusqu’à la cigarette finale. Quel spectacle !

Le lion de mer mâle, bien nommé, possède une véritable crinière semblable à celle d’un lion, un museau et une gueule qui vont avec. Ses rugissements, sa démarche faussement pataude et ses 300 kg de chair en rut ne donnent guère envie de s’en approcher. La lionne femelle, beaucoup plus fine, disparaît sous lui seule la tête dépassant. Sitôt son affaire faite, le mâle cherche des yeux sa prochaine conquête dans le troupeau alangui sur la berge sous les rayons du soleil.

Lorsque le lion ne traque pas la femelle, il se dresse en appui sur ses nageoires avant, la gueule dressée vers le ciel, raide et fier, tel la statue du commandeur. Dans ce pays, mâle se dit “macho”.

Quelques kilomètres plus loin, les lions de mer s’adonnent aux joies de l’élevage de leurs petits. La saison des amours, plus précoce, ayant déjà porté ses fruits. Outre qu’ils ne possèdent pas de crinière, les éléphants de mer se différencient des lions par leur  poids, dix fois supérieur, qui peut atteindre 3,5 tonnes. Y son pabo !!

Les baleines franches, elles, viennent à Valdès pour se reproduire par centaines de juin à décembre. Rose a donc été frustrée de cet accouplement là.

Une colonie de pingouins magellans forte d’un demi million d’unités se trouve 200 km au sud de la péninsule de Valdès. Les Piche ont été à leur rencontre en voiture avec un couple (mâle et femelle) de Suisses (une espèce prolifique parmi les mammifères voyageurs qui se reproduit dans un petit territoire au centre de l’Europe. Il s’agit d’une espèce très protégée).

A peine hauts de 50 cm, les pingouins magellans sont rigolos, comme tous les pingouins du monde.

Ici un papy qui avance le dos courbé, le regard vers le sol, semblant porter toute la misère du monde sur sa frêle encolure en se balançant de façon ridicule d’un patte sur l’autre; là une petite famille, papa et maman en tête, dodelinant de droite et de gauche suivis par quatre petits qui oscillent derrière eux à un rythme plus soutenu en accélérant le pas pour ne pas perdre leurs géniteurs.

Rose et Raoul Piche ont pu marcher au milieu de ces volatiles en s’approchant au plus près mais sans les toucher. Ils mordent facilement et durement. Ridicules piétons, peut être, mais on a sa fierté !

Une fois dans l’eau la métamorphose est saisissante, les pingouins se transforment en véritable fusée. Les Piche auraient alors bien du mal à les suivre dans leurs pérégrinations de plusieurs milliers de kilomètres vers le Brésil.

Pour les grandes distances, Rose et Raoul se contentent de mettre sac à dos et de marcher d’une allure de pingouins vers la gare routière la plus proche.

Grotesques.

Des staeks énooooooorrrmmmeees !

Jeudi 13 janvier 2005

Buenos Aires, 13 janvier 2005

Raoul porte un regard incrédule sur les deux énormes entrecôtes de 4 cm d’épaisseur qui débordent de son assiette. Il regarde celle de Rose : même contenu.

- Ils sont fous ces Argentins ! Avec la moitié d’une on serait rassasié. Impossible de manger tout ça.

Les Piche avaient beau être prévenus, cette débauche de viande leur procure un choc. Message reçu. Il suffit de commander un plat de viande (pour deux) et une salade (pour deux) si l’on veut se retrouver avec des portions normales.

Un soir de fatigue Rose et Raoul baissent la garde, commandent deux “milanese” et se retrouvent avec un demi mètre carré d’escalope chacun. Autant dire que l’Argentine est l’enfer des végétariens et le paradis des carnivores. Le summum pour les amateurs de chair fraîche étant la “parillada”, un assortiment excessif de viandes servies sur un grill individuel. Un truc à faire pousser des canines par nuit de pleine lune.

Chez le boucher les meilleures pièces de boeuf coûtent à peine 1,2 Euro.

Cette débauche alimentaire contraste avec les signes encore apparents de la crise économique.

En témoigne, le soir venu, les récupérateurs de cartons qui investissent le centre ville et fouillent méticuleusement les tas de déchets déposés sur les trottoirs; les innombrables pancartes “à vendre” sur les appartements, les bureaux, les magasins; les constructions inachevées d’immeubles et de routes; les tags stigmatisant les banquiers “voleurs” et le pouvoir corrompu; les dispositifs anti-émeutes prêts à servir autour du palais présidentiel etc.

Le long de certaines voies ferrées, les Piche ont aperçu des cabanes de bois et de tôle semblables à celles des faubourgs de Bombay et de Delhi. Moins nombreuses, certes, mais tout aussi misérables.

Pourtant, dans l’ensemble, même en traversant la banlieue, Buenos Aires offre l’image d’une richesse supérieure à celle du Mexique et des autres pays d’Amérique centrale. Les bus et les avions complets vers les destinations de vacances montrent que le pesos argentin, aussi faible soit-il par rapport au dollar n’empêche pas les Argentins de vivre et les touristes étrangers de très, très bien vivre.

A condition de raffoler des protéines animales.

Tango sexuel, tête à l’envers

Mardi 11 janvier 2005

Buenos Aires, 11 janvier 2005

Le tango, l’été en hiver, la tête en bas, les viandes grillées, la crise économique, le plus Européen des pays d’Amérique tels sont les images communément liées à l’Argentine. En une petite semaine à Buneos Aires, Rose et Raoul Piche ont perçu, vu et découvert un peu tout cela.

Avec ses grandes avenues, ses beaux immeubles, ses parcs, ses innombrables terrasses de café-restaurant, ses dizaines de theâtres, ses luxueuses galeries marchandes Buenos Aires leur est apparue aussi européenne que Madrid, Milan ou Paris.

Moins peuplée que d’autres capitales d’Amérique latine, Buenos Aires est certainement la plus raffinée par son mode de vie et son esthétique. Amoureux du dépaysement passez votre chemin !

Le ciel d’un bleu immaculé et le thermomètre entre 28º et 33ºC ne laisse aucun doute aux Piche : en ce mois de janvier 2005 l’été est bien établi. Les porteños en vacances ayant déserté leur ville pour s’agglutiner sur les plages, Buenos Aires a des allures de Paris au mois d’août ce qui facilite les déplacements et ravit Rose et Raoul.

- Là, on va dans quelle direction ?
- Plein nord
- Mais non, plein sud. C’est midi et nous marchons vers le soleil !
- Regarde la boussole : plein nord !
- Y a un truc
Les Piche mettent un moment pour réaliser que, dans l’hémisphère sud, très normalement, le soleil monte dans le ciel au nord. Ils sont un peu retournés. Normal, n’ont-ils pas la tête à l’envers?

Le tango argentin est une découverte pour Rose et Raoul.

Rien à voir avec l’idée qu’ils avaient d’une danse au pas et aux passes toujours semblables. Spectaculaire au théâtre, le tango argentin est sensuel au café-concert pour devenir sexuel dans la rue. Il retrouve là ses origines du quartier des bordels de la Boca où l’inventèrent les immigrants italiens. Devenu “chic” à Paris au début du XXème siècle, il a finalement été adopté par la société argentine dans son ensemble et constamment enrichi jusqu’à d’époustouflantes chorégraphies.

Au café-concert, Rose, invitée par un danseur professionnel, s’est mise à tournoyer avec l’aisance d’une argentine de souche jusqu’à arracher les applaudissements de l’assistance.

Raoul en rougissait… de fierté.

Mais lorsque Rose a remis ça dans le quartier de la Boca, Raoul s’est demandé si, dans sa jeunesse, sa belle-mère n’avait pas esquissé quelques pas trop serrés avec un certain Carlos Gardel, un Toulousain devenu le dieu du tango pour les amateurs du monde entier . Des dizaines d’années après sa disparition, ses fans viennent placer une cigarette entre les doigts de sa statue au cimetière Chacarita de Buenos Aires. Raoul, lui, se contente de supporter celles de sa déesse de Rose.

Survivre dans un demi mètre carré

Samedi 8 janvier 2005

Milan, 8 janvier 2005

- Regarde la fille dans la file d’à côté. Elle a le ventre nu entre son débardeur et son pantalon et le haut de son string qui dépasse.

- Eh alors! C’est la mode depuis un moment. Faut sortir Raoul !

- Oui mais elle tire sur ce débardeur comme une malheureuse pour se cacher. Pas si à l’aise avec la mode. Je la plains.

- Tu préfères sans doute celle de derrière. Voilée de la tête au pied. C’est aussi très à la mode. Mais moi c’est elle que je plains, lance Rose à Raoul qui avoue quand même sa préfèrence pour le ventre rosé.

Dans le hall de l’aéroport de Milan prêts à embarquer à destination de Buenos Aires, Rose et Raoul Piche portent ainsi leurs premiers regards de voyageurs, débutant un périple qui doit les conduire du nord au sud de l’Argentine et au Chili.

Le second regard de Raoul, les yeux rivés au hublot, est pour les lumières orangées des villes aux allures de bijoux brillant dans la nuit. Barcelone, Madrid, Lisbone, Fortaleza… autant de joyaux ensommeillés vus dans la hauteur de l’obscurité par une nuit sans nuage sur 12000 km de distance.

La poésie du spectacle n’efface pas pour autant l’inconfort de la situation. Si Rose dort plutôt bien, Raoul survit mal dans son demi mètre carré d’espace, coincé par le siège de devant. Allez savoir pourquoi, à ce moment là, lui revient à l’esprit la parole de Sir Francis Chichester disant que “le bateau est le moyen le plus lent, le plus cher et le plus inconfortable pour aller d’un endroit à un autre”. Raoul se dit que l’avion bat largement le bateau sur le point trois en attendant le point deux.

A peine leurs valises posées, les Piche gagnent l’un des quartiers animés de Buenos Aires le dimanche. Dans les rues, autour du marché d’antiquités, musiciens et danseurs de tango argentin offrent leurs spectacles aux chalands.

Pour Rose et Raoul Piche, le voyage commence vraiment.

Les réactions de Rose par Rose

Mercredi 5 janvier 2005

Les textes du blog des Piche ont été écrit par Raoul sauf un, celui qui suit.

Il est donc exceptionnel.

Voici les réactions de Rose en fin du voyage de trois mois en Argentine et au Chili.

BUENOS AIRES, LE TANGO
Enchantée de me retrouver sur la piste de danse mais très impressionnée parce que mon tango est tellement plus plan plan que l’argentin !

LES TRAJETS EN BUS DANS LA PAMPA
Les bus ont beau être confortables, 20 heures c’est beaucoup pour le dos et les jambes. J’ai eu bien du mal à dormir. Et quand le jour se lève on se dit qu’on va pouvoir admirer le paysage : rien à l’horizon, mais rien de rien. Alors on bouquine.

LES ANIMAUX DE LA PENINSULE DE VALDES
Très intéressée par les lions de mer avec leurs crinières énormes : jamais vu cette espèce dans aucun livre ni reportage. Quant aux pingouins si habitués au passage des humains on les observerait pendant des heures : les mères et pères quittant le nid (trou dans le sol abrité par un arbuste) pour ramener à manger aux petits qui criaillent et qui plantent leur bec dans la gorge du parent porteur de poisson. Leur démarche dodelinante pour parcourir les centaines de mètres qui séparent la mer de leur nid est émouvante.

LES RENCONTRES
Les voyageurs rencontrés sont tous fanas de découvertes : très souvent solitaires, filles comme garçons. Les plus fortunés prennent l’avion, d’autres la moto, d’autres le vélo et beaucoup, comme nous, le bus.

LES DETAILS DE LA VIE QUOTIDIENNE
En Argentine pas de problèmes de plomberie ni d’électricité (par contre ils sont fâchés avec les serrures : pas moyen de s’enfermer dans les toilettes). Tout est propre, l’eau du robinet buvable, les supermarchés bien achalandés : trouvé de la moutarde Maille ; une bouteille de mousseux de la région de Mendoza portant l’appellation Champagne (je ne sais pas si les Champenois apprécieraient).

LA LANGUE
La prononciation est assez déconcertante : le ll se prononce ch et le y se prononce j. Mais on s’y fait !

LES ARGENTINS
Les Argentins sont sympas, prêts à aider pour vous indiquer votre chemin dès que vous vous plongez sur un plan et pas moqueurs du tout quand on leur parle un espagnol de base comme le nôtre.

LES RESTAURANTS, LA NOURRITURE
La viande n’est pas coupée comme chez nous mais quel délice ! Je ne vous dis pas les ventrées qu’on se fait quand on rentre dans un restau avec Tenedor libre (buffet à volonté : salades de toutes sortes, boeuf grillé sur la braise, agneau grillé sur des broches verticales fixes “asados”, desserts) pour 20 pesos (environ 5 euros) à Ushuaia et 7 pesos à Buenos Aires.
Et les ventrées de cerises : hum, manger des cerises en hiver !

SANTE
Nous sommes passés en l’espace de 15 jours de 36º à Buenos Aires à 10º à Ushuaia : on tousse un peu tous les deux mais le soleil est de la partie. On croise les doigts pour que ça continue et que les vacances se poursuivent sous des cieux toujours nouveaux.

Vive les vacances.

LES MAISONS
Au Chili les maisons ont des structures en bois, murs et charpente sur lesquelles sont clouées des planches en tripli recouvertes de taules ondulées et peintes. Il fait bien chaud sous ces toits.
En Argentine la brique rose est reine même dans les campagnes. Dans les salles de bains argentines subsiste le bidet avec jet d’eau réglable, c’est amusant et très pratique pour faire la lessive.

LA RUE
Dans les rues chiliennes rode une quantité effrayante de chiens pouilleux, galeux, braillards mais pas agressifs : ils dépouillent les sacs poubelle à même le sol. C’est pourquoi devant pas mal de maisons sont installés des réceptacles surélevés en ferraille.
Dans les rues des grandes villes argentines ce sont des humains qui cherchent dans les sacs poubelle qui des canettes en alu qui des chiffons ou autres objets revendables. Sans surprise, on est naturellement sollicité par de nombreux mendiants.
Comme dans tous les pays, ces deux là n’échappent pas à la règle, le plastique est roi : partout, dans les rues, sur le bord des routes traînent des bouteilles vides, des sacs de toutes les tailles et de toutes les couleurs.

LA RELIGION
Les signes de religiosité sont partout : le chapelet et autres gri-gri pendouillent aux rétroviseurs des bus, taxis, automobiles personnelles. Les chauffeurs se signent chaque fois qu’ils passent devant une église ou une petite chapelle érigée au bord de la route (et il y en a beaucoup). Des prédicateurs sur les places chantent, vocifèrent et vous promettent de vous guérir vous ou un des vôtres si vous vous joignez à eux !!! Dans ces pays les églises sont toujours ouvertes et les messes font salle comble.

EDUCATION-SANTE
Désolant, les femmes chiliennes du peuple sont grosses. Les jeunes filles boudinées, voulant être à la mode s’affublent de pantalons taille basse, de corsages collants et tout déborde. Les enfants sont obèses à tel point que de nombreux articles dans la presse chilienne sont consacrés à ce problème et que des campagnes d’informations sont prévues auprès des enfants et des parents pour arrêter ce phénomène. J’ai bien dit les femmes du peuple parce que dans les quartiers bourgeois les femmes sont minces et élégantes.
Les femmes visiblement pauvres ont une dizaine d’enfants, quand les plus favorisées n’en ont que deux ou trois. Dans les deux pays beaucoup d’enfants sont mongoliens ou difformes : pas de prévention et surtout pas d’avortement. Illégal dans les deux pays mais en discussion mouvementée en Argentine.

SALAIRES
Le salaire minimum dans la province de Mendoza est de 350 pesos (environ 100 euros) ce qui représente le prix d’un loyer. Un instituteur est payé 200 euros alors qu’un veilleur de nuit mieux rémunéré touche 220 euros.
Le salaire varie en fonction de la Province. Une manif d’instit à Salta nous éclaire : 80 euros en maternelle et 130 en primaire et collège pour 40 élèves par classe. Les femmes rencontrées nous affirment que ça arrange le gouvernement que les gens ne soient pas éduqués “plus la population est ignorante et plus elle est manipulable par l’église et par les politiques”, nous ont-t-elle dit ! Bien que l’école soit obligatoire beaucoup d’enfants n’y vont pas et rien n’est fait.
D’autres travailleurs n’ont carrément pas de salaire et sont uniquement payés au pourboire, comme ceux qui chargent et déchargent les bagages des bus.
Sur de nombreux tickets de caisse apparaît la ligne “propina no incluida”, à défaut un gros tampon vous le signale. Il semble que ce soit le seul salaire que reçoit un serveur (métier d’homme essentiellement). Main d’oeuvre gratis pour les patrons, ils sont facilement 8 à 10 à attendre le client à la porte des restaurants.

Cela termine pour aujourd’hui le lot de constats pêle mêle que j’ai noté au fil des jours mais il n’épuise pas le sujet. Il y a encore bien des choses à dire après tout ce que nous avons vu.
Rose