Archive pour la catégorie ‘Etats-Unis’

“Votre président ? Une horreur !”

Dimanche 9 avril 2017

A la plantation Ardoyne, à Schriver, les Piche sont forts bien accueillis par celle qui habite les lieux et appartient aux descendants de la famille ayant fait construire cette remarquable bâtisse de style « victorien gothique rural ». Raoul qui apprécie l’hôtesse et sa culture, l’imagine démocrate et il ose une question qui lui brûle les lèvres : « que pensez-vous de votre nouveau président ». Elle esquive, en retournant la question « et vous qu’en pensez-vous ? ». Raoul ne peut s’empêcher de réagir instantanément : « une horreur ! ». Il se rend compte aussitôt que son hôtesse n’est pas du tout de cet avis ! Ce qui se confirme lorsqu’elle lâche cette phrase confondante « vous savez, ici il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas parce qu’ils préfèrent faire des enfants pour toucher les aides de l’Etat ». « Quel idiot je suis », se dit Raoul qui se rappelle soudain que parmi les portraits de famille qui viennent de lui être montrés lors de la visite, figure celui du général Lee, le commandant en chef des sudistes esclavagistes. Bon sang ne saurait mentir.

Innocemment, bien entendu, Rose complète l’échange par la question qui tue : « Et vous, combien avez-vous d’enfants ? ». Elle en a trois mais gagne dignement sa vie en faisant visiter une propriété de plusieurs millions de dollars, sans aide de l’Etat…

Raoul se trompe de route, une vraie chance !

Jeudi 6 avril 2017

Parce qu’ils se sont trompés de route, les Piche et leur amies Giselle et Chantal ont fait la rencontre la plus improbable de leur périple en Louisiane.

Il faut savoir que Giselle a reçu pour mission de la part de son petit-fils de lui ramener une plaque d’immatriculation de voiture louisianaise. Impossible d’en trouver. Pire, dans une casse automobile on a appris que cela était infaisable car lorsqu’un véhicule est retiré de la circulation, la plaque doit être rendue aux autorités.

Arrêt des recherches donc. Jusqu’au jour où, Raoul, qui vient de s’engager par erreur sur une petite route, tombe en arrêt face à un hangar rempli d’un fatras d’objets anciens, plutôt techniques. Il se gare, va voir, et très vite il remarque trois plaques d’immatriculation de Louisiane posées là, comme abandonnées, sur la couche supérieure de l’amas qui est devant lui.

Il appelle. Personne. Un homme âgé tond la pelouse de l’église voisine, juché sur un tracteur antédiluvien. Raoul lui fait signe. L’homme immobilise sa machine, en descend lentement, contourne paisiblement l’engin puis farfouille dans le moteur pour l’arrêter et finit par se tourner vers Raoul qui explique leur recherche.

L’homme qui a compris la requête se met alors à parler d’un flot de paroles continu, rythmé, clair, impossible à interrompre. Il parlera ainsi durant près d’une heure ! Racontant sa vie de collectionneur, sa vie tout court et sa rencontre avec un autre collectionneur d’un genre un peu spécial. Ce dernier avait accumulé des dizaines de milliers de plaques d’immatriculation qu’il lui a cédées pour une bouchée de pain. L’homme qui fait face à Raoul et Giselle, il s’appelle Ronald, a poursuivi et enrichi cette collection.

Les deux voyageurs font face au plus grand collectionneur de plaques d’immatriculation des Etats-Unis !

Elles sont toutes là, dans une grange derrière le hangar. Ronald, les y conduit et pour cela ils traversent deux autres grands hangars dont le contenu est à couper le souffle. Une véritable caverne d’Alibaba. Ronald collectionne bien plus que les plaques d’immatriculation ! Ce sont des milliers d’objets techniques du début du siècle passé jusqu’aux années 60 qui sont accumulés là : pompes à essence avec tubes de verre, cabine téléphoniques en bois, juke box, machines à sous mécaniques, distributeurs de Coca Cola, calculatrices de caisse, premiers moteurs hors-bord, disques vinyle par milliers, panneaux publicitaires, balances, maquettes d’avions etc. etc.

Alors que Raoul contemple un amas d’objets (tous ne sont pas aussi gros que ceux de la liste précédente), Chantal attire son attention.

- Tu as vu ce qu’il y a sous ce que tu regardes ?

- Non.

- Oh ! Oui. Une voiture !

Une Buick des années 50 disparaît sous la montagne d’objets posés sur elle !

Ronald ne vend rien. Ce n’est pas un brocanteur, il ferait fortune, c’est un collectionneur.

- J’ai 76 ans, ma pension de facteur me suffit pour vivre.

Les Piche ébahis continuent leurs découvertes tout en écoutant Ronald raconter sa vie. S’il ne vend pas, en revanche il loue des objets rares, en très bon état, à des équipes de production de films. Il en récupère aussi auprès d’elles, telles ces gigantesques oriflammes nazis qui pendent des poutres supérieures de la grange jusqu’au sol.

A plusieurs reprises Raoul tente de revenir aux plaques aperçues sous le hangar d’entrée. Ronald est-il prêt à les céder ? Celui-ci esquive sans cesse. Le petit groupe finit par se diriger petit à petit vers l’extérieur. Las, là, les attendent deux superbes pick-up Chevrolet des années 50 en parfait état de marche. La preuve, Ronald met le contact, tout en parlant, et l’engin revit dans le ronflement puissant de ses huit cylindres.

- Nous devons y aller, déclare Raoul pour mettre fin à cette visite, certes extraordinaire, mais qui est en voie d’occuper leur journée.

Pas à pas, le groupe opère un retrait stratégique en s’acheminant progressivement vers leur voiture à proximité des trois plaques d’immatriculation aperçues à leur arrivée. Giselle s’en saisi et fait une ultime tentative. En réponse, Ronald raconte l’histoire de ces plaques ! Il connaît par cœur chacun des milliers d’objets qu’il a entassés au fil des ans. Et puis, finalement …

- Tenez prenez les.

- Combien nous vous devons ?

- Rien. Rien du tout. J’ai été très heureux de votre visite.

Les Piche, Giselle et Chantal réalisent que, pendant une heure, ils ont rompu la solitude de cet homme. Une solitude qui lui pèse tant depuis que sa femme est décédée deux ans auparavant. Elle qu’il n’a cessé d’évoquer lors de son long monologue.

Et tout cela parce que Raoul s’est trompé de route.

Rencontre avec les alligators

Mercredi 5 avril 2017

- J’ va vous ramasser à steure sur la berge (« je vais vous prendre sur la berge tout de suite »), lance Norbert Leblanc aux Piche et à leurs deux amies en bordure du lac Martin au sud de Breaux Bridge en Louisiane.

Yeux bleu acier, barbe blanche, sec comme un cyprès des marais, dent de caïman autour du cou, Norbert Leblanc était un chasseur avant de guider les touristes dans les bayous avec son parler cajun imagé, à l’accent coloré mais parfaitement compréhensible.

- N’oubliez pas vos garde soleil (chapeaux). Aujourd’hui ça va pas mouiller (il ne va pas pleuvoir) et protégez-vous des maringouins (des moustiques).

La barque dans laquelle les Piche ont pris place quitte la berge et s’enfonce lentement dans les sous-bois du bayou. Le paysage n’est pas celui d’une mangrove. Il est plus aéré. Les arbres, essentiellement des cyprès des marais, sont le plus souvent séparés de plusieurs mètres les uns des autres. Leurs branches pleurent des touffes de « mousse espagnole » qui, aux siècles passés, servaient à rembourrer les sièges et les matelas. A une faible distance de chaque arbre, des racines en forme d’excroissances arrondies, s’élancent à quelques dizaines de centimètres au-dessus de la surface. On les appelle des genoux. Le lac est couvert de lentilles d’eau qui lui procure une belle couleur verte. Beaucoup de branches mortes de bonne section émergent ici et là.

La barque progresse paisiblement. Chacun à bord scrute le paysage dans l’espoir d’apercevoir un alligator.

- Là ! Sur la droite !

Une de ces bêtes à l’allure préhistorique repose immobile sur une branche morte. Il est mitraillé de photos par les passagers de l’embarcation. C’est leur premier alligator !

- Oh ! Là-bas, des tortues !

- Là, un héron gris !

- Et là, une armés de cormorans à la cime des arbres !

- Une spatule rose  !

- Une aigrette !

- Regardez, un alligator avec ses petits !

Là, là, là…

Progressivement, le bayou se révèle une spectaculaire réserve d’animaux aussi variés qu’inhabituels.

De temps à autres le moteur hors-bord cogne une branche posée sur le fond qui n’est qu’à une trentaine de centimètres ou l’hélice se fait étrangler par un amas de végétaux. Ce qui n’émeut pas Norbert, un petit coup de marche arrière et hop, c’est reparti.

Norbert répond à toutes les questions mélangeant humour et vérité :

- Que mangent les alligators ?

- De préférence des touristes. Et, lorsqu’ils n’en n’ont pas, n’importe quoi.

- Même des bébés alligators ?

- Oui

Il marque une halte sous les cyprès pour montrer aux Piche et à leurs amies les articles que la presse internationale lui a consacrée dans sa période de chasseur. Il fait également circuler des photos sur lesquelles on le voit avec sa plus grosse prise, un alligator d’environ 400 kg et de 3,5 m de long.

Il est seulement 11 heures du matin, Norbert extirpe de sous son siège une bouteille de « clair de lune », l’eau de vie qu’il distille lui-même.

- On me dit souvent que ce n’est pas l’heure pour les alcools forts. Pas avant 5h de l’après-midi, paraît-il.

Aussitôt, il sort une horloge avec les aiguilles correctement positionnées, mais chacune des douze heures du cadran porte le même chiffre, 5 !

- Comme ça, c’est toujours l’heure du « clair de lune »….

Après ce petit coup de remontant, la balade reprend et les alligators défilent à droite, à gauche, devant. Les Piche les croyaient rares, ils en verront plus d’une dizaine en deux heures de temps.

Et, ce n’est pas fini, ils en croiseront d’autres ailleurs, en voiture ou à pied. Jusqu’au jour où, sur l’île Avery, dans le remarquable Jungle Garden, Raoul manquera de marcher sur un bébé alligator. Plus, tard, une tortue échappera de peu aux roues de sa voiture, ce qui lui vaut une remarque acide de Rose.

- Avec toi, la protection animale atteint ses limites.

- Mais le tatou éventré au bord du Mississipi, à Natchez, et ceux qu’on aperçoit en bordure des routes ? Pas de commisération…

- Pourquoi tu me parles tout à coup des tatous ?

- Parce qu’en Argentine un tatou c’est un « Piche ». Je me sens solidaire.

Les Piche à Trumplandia

Lundi 27 mars 2017

Intrigués, les Piche interpellent le troisième garçon qu’ils croisent portant une collection de colliers de pacotille de perles vertes, alors qu’ils se dirigent vers Bourbon street à la Nouvelle Orléans.

- Pourquoi “ça” ?

- Aujourd’hui, c’est la saint Patrick ! Répond, gaiement le jeune homme.

Parvenus dans la rue mythique du quartier français, les Piche font deux découvertes : les Irlandais fêtant la St Patrick et les maisons créoles. Les premiers mettent une ambiance chaude car fêter la St Patrick c’est boire beaucoup de bière, dès la matinée, et s’interpeler entre groupes portant tee-shirt verts, colliers de perles et drapeaux irlandais. L’un d’eux déclare à Rose et Raoul sa flamme pour la France, ajoutant :

- Nous n’avons pas besoin d’une reine ! Vous, vous avez su faire la révolution.

D’un geste éloquent à la base du cou, Raoul lui indique la marche à suivre concernant la tête de la reine. L’Irlandais est un peu refroidi.

- Quand même pas…

Quant aux maisons à un étage avec colonnes et balcons en fer forgé, elles sont splendides même si beaucoup ont été restaurées récemment.

La musique est omniprésente. Dans les cafés-bars à un niveau assourdissant, bien plus plaisamment dans la rue. Trompette, saxo, trombonne à coulisse, trombonne, accordéon, guitare, bandjo, batterie, clavier, chanteur… à chaque groupe son mélange d’instruments et pour tous une petite foule pour les admirer et les applaudir.

Le concert le plus original est celui du Natchez, le seul bateau à roue à aubes encore propulsé par des machines à vapeurs. Il dispose, sur son pont supérieur, d’un orgue à vapeur avec lequel un organiste joue des airs de musique… italienne, audibles à plus d’un mile à la ronde.

Grosse déception des Piche sur la route des plantations alors qu’ils viennent visiter la seule qui soit centrée sur l’histoire des esclaves. On leur demande quatre heures d’attente. Ils reprennent leur voiture pour aller voir ailleurs lorsqu’à la sortie du parking un automobiliste, qui lui entre, leur demande comment ils ont trouvé la visite. Raoul dit leur déception. L’homme se dévoile alors : “je suis le fondateur et le directeur de ce cette plantation-musée-mémorial, suivez-moi !”.

S’en suit une visite particulière, personnalisée et gratuite du site. Un lieu très émouvant. Tout est là. Le Mississipi à 200 mètres, les champs de cannes à sucre qui s’étendent jusqu’à plus de 15 km à partir du bord du fleuve, les maisons des esclaves et le mémorial des 35 assassinés parce qu’ils avaient tenté de porter la révolte à la Nouvelle Orléans.

Un peu plus loin, les Piche visitent la plantation Laura où une guide retrace, dans un français parfait, la vie d’une famille créole à travers le temps et l’histoire avec un grand H (notamment la guerre de sécession). Récit très intelligemment construit qui entre en résonnance avec les lieux.

Les Piche et leurs amies qui les ont rejoint à la Nouvelle Orléans, visitent ensuite plusieurs autres plantations toutes plus riches les unes que les autres ce qui leur rappelle les paroles du directeur de la première :

- La richesse des Etats-Unis vient, à l’origine, du travail des esclaves.

C’est ce que Karl Marx a appelé “l’accumulation primitive du capital”, résume Raoul plus politique que jamais au pays de la Trumpisation.