Archive pour la catégorie ‘Birmanie’

Astrologie birmane

Lundi 19 mars 2012

Tout le monde connaît cette réflexion d’Einstein : « Deux domaines donnent une idée de l’infini : l’espace intersidéral et la bêtise humaine. Mais pour ce qui est de l’espace j’ai encore un doute ».

L’histoire des dernières  décennies de la Birmanie n’aurait pas été de nature à modifier son jugement tant la bêtise des dirigeants de ce pays a atteint des sommets.

Ils ne seraient sans doute pas parvenus à de telles cimes, s’ils n’avaient été aidés par leurs astrologues. Cela a donné les épisodes suivants.

Comme le directeur de la Banque de France l’ignore, le chiffre 9 porte bonheur. Heureusement, un dirigeant birman en a été informé par son astrologue. Du jour au lendemain, il a remplacé les billets de 100, 50, 10, etc, par des billets de 90, 75, 35, 15, ruinant les économie liquides des petits épargnants.

Plus tard, la même source d’information a annoncé des catastrophes, si dans le pays, ex colonie britannique, on continuait à rouler à gauche. Au jour J on a été prié de rouler… à droite. Mais  la totalité du parc automobile est resté avec des volants à droite. Y compris les voitures neuves! Donc, pour doubler, on est prié de se déporter largement sur la gauche, histoire de voir si la voie est libre. Audacieux.

Un autre cataclysme a été prédit par les astrologues conseillés du pouvoir, si la capitale restait à Rangoon. A coup de millions de dollars a donc été construite une ville nouvelle, au milieu de nulle part, à 400 kilomètres de Rangoon et 300 de Mandalay. Bâtiments administratifs, aéroport, autoroutes à quatre, six et même huit voies, sont sortis du sol pour faciliter les déplacements des dirigeants et des hauts fonctionnaires du pays. Les Birmans, déjà pauvres, se sont appauvris un peu plus.

A la question rouge du jeu des mille euros « quelle est la capitale de la Birmanie? », la réponse est donc « Nay Pyi Taw ». Au passage, rappelons que les mêmes ont débaptisé leur pays qui ne s’appelle plus la Birmanie mais le Myanmar. Nay Pyi Taw est donc la capitale du Myanmar.

La liste est longue et serait fastidieuse des exploits de cette gouvernance astrologique. Elle s’est accompagnée, on le sait, d’une tyrannie meurtrière pour le peuple.

Mais les choses bougent, paraît-il, et les élections d’avril prochain suscitent beaucoup d’espoir. Pourvu que les astrologues ne s’en mêlent pas !

Tout ce qui est d’or… brille

Lundi 19 mars 2012

Un rocher couvert d’or, en déséquilibre sur le vide, c’est le rocher d’or. Le défi aux lois de la gravitation que ce gros caillou semble poser n’en est pas un. Son équilibre tient à un cheveu.

Pas n’importe lequel. Un cheveu de Bouddha placé à son sommet. 10 000 fois plus résistant qu’un fil d’araignée, lui-même 1000 fois plus résistant que l’acier, le cheveu de Bouddha c’est le top du top de la résistance mécanique. Si les Birmans créaient Air Bouddha doté d’une flotte d’avions en poils de Bouddha, ils auraient la compagnie aérienne la plus sûre du monde.

Les Birmans sont fanas du rocher d’or, un de leur lieu de pèlerinage préféré.

Toutefois, n’accède pas au rocher d’or qui veut. Il faut en payer le prix. Non pas en dollars (encore qu’un petit billet de 5 $ n’est pas de refus à l’entrée du site) mais en sueur et en sensations fortes.

Bien entendu, le rocher, l’or, le cheveu tout ça est perché au sommet d’un montagne quasi inaccessible. La piété n’étant plus ce qu’elle était, même chez les bouddhistes, une partie du trajet s’effectue non pas à pied mais… en bétaillère. Moderne, Nissan dernier cri, moteur puissant, elle emporte 42 pèlerins assis sur 7 étroites poutres (en teck, évidement) placées en travers de la benne arrière. Aucun bus ne pourrait gravir les pentes, parfois de 30%, ni négocier les épingles à cheveu (de Bouddha?) qui conduisent à l’étape intermédiaire avant la montée finale à pied. Pendant trois quart d’heure la bétaillère conduit les pèlerins vers les sommets de la spiritualité.

A chaque virage, sur chaque poutre, le chargement glisse, écrasant le pèlerin assis à l’extrême droite ou à l’extrême gauche du morceau de bois, selon le sens du tournant. Cela au milieu des cris et des rires. Les bouddhistes sont très rieurs. Comme le Bouddha qui a toujours un sourire en coin (un débat savant fait rage pour savoir si ce sourire est moqueur ou pas mais cela dépasse largement la compétence des Piche qui se refusent à prendre position).

Lors des reprises en côte, c’est en arrière que les pèlerins sont projetés. De ces mouvements d’ensemble, s’élève une sorte de « Ola! » birmane qui accompagne la vague humaine dans les oscillations successives intra bétaillère.

Parvenue à destination, une passerelle, genre passerelle d’avion, est avancée sur le flanc de la bétaillère afin de permettre aux passagers de débarquer. Air Bouddha dispose déjà des passerelles…

Seconde épreuve, l’ascension terminale à pied. La pente est encore plus forte que sur la portion précédente.

Comme à son habitude, Rose légère comme une plume s’envole. Raoul opte pour un pas d’une extrême lenteur. Du coup, il devient la cible des porteurs de chaises à porteurs. Cheveux blancs, pas lent, en voilà un qui n’ira pas jusqu’au bout, pensent-ils. Et de tourner autour de Raoul tels des corbeaux guettant le dernier souffle de leur proie. Mais de souffle, le Raoul n’en manque pas. A cette allure, il est capable de marcher des heures et des heures. A force de les voir tourner autour de lui et de remonter inutilement la côte, c’est Piche qui prend pitié d’eux. Le « non » birman étant imprononçable, le « no » isolé ne donnant pas de résultats, Raoul Piche se campe sur ses jambes et leur assène une série de « no, no, no, no, no » qui font enfin effet. Les corbeaux s’envolent.

Libéré de ses anges gardiens, il poursuit son chemin qui passe devant des étals de pharmacopées fortes : têtes de bouc sanguinolentes, crânes de singes, peaux de serpents, pattes velues et griffus d’origine inconnue, fioles contenant divers ingrédients solides baignant dans un liquide couleur whisky. Sûr, voilà des médecines 100% naturelles bien plus efficaces que du butylhydroxyanisole ou du chlorydrate de loperamide horriblement chimiques.

Après une heure de marche, Rose, Raoul et leurs amis se retrouvent au sommet. Au rocher d’or ! Vision superbe.

Rose veut sacrifier à la tradition et coller une feuille d’or sur le bloc de pierre. C’est oublier un peu vite qu’elle est un être impur, indigne de ce geste : « interdit aux femmes ». Une interdiction qui ne la rapproche pas vraiment du bouddhisme ce qui aurait pourtant constitué le véritable miracle du lieu et du jour.

Raoul tente de la remplacer dans l’expédition mais l’accès lui est également interdit. Dans son petit sac à dos il a rangé ses chaussures après s’être mis pieds nus comme dans tous les lieux sacrés du bouddhisme. Les chaussures aux semelles maculées de crachats rouge au jus de bétel ne doivent pas approcher du rocher même enfouies dans un sac en plastic enfoncé dans un sac à dos. Mauvaises vibrations. Délesté de son sac confié à l’« impure » (un peu plus, un peu moins…), Raoul colle l’or sur l’or du rocher. Le luxe suprême en ces temps de crise.

Le soir au restaurant, Rose et Raoul croisent un groupe de Grecs. « Des Grecs ici? Avec tous les problèmes qu’ils ont dans leur pays! ». « A moins que… » Une pensée folle traverse l’esprit de Piche, « non, ils n’oseraient pas ! L’or du Bouddha, tout de même ! ».
En sortant du restaurant, c’est à peine s’ils saluent ces étranges visiteurs, à leurs yeux plus indignes qu’indignés.

Cités lacustres et moine francophile

Lundi 19 mars 2012

Le lac Inle n’est pas un lac comme les autres. La vie ne s’y organise pas autour mais dessus. Les villages formés de maisons plantées sur des forêts de pilotis se trouvent sur l’eau. Les habitants se déplacent uniquement en barque et cultivent des jardins flottants dont ils parcourent les allées sur des canoës plats à coup de pagaie ou de godille.

Singulière godille puisqu’elle est actionnée par le rameur en position debout à l’aide de sa jambe droite enroulée sur elle. Bel exercice d’équilibre, le rameur se tient sur une seule jambe, l’autre écartée sur le côté au-dessus de l’eau actionnant avec vigueur l’étrange propulseur.

Pour aller d’un village à l’autre et transporter hommes et marchandises ce sont de longues, fines et élégantes barques en teck (de Birmanie, bien sûr, commerce local oblige) qui sont utilisées.

Les maisons en bois et bambou tressé vont du plus rudimentaire au plus sophistiqué, notamment celles destinées à accueillir les riches touristes « les pieds dans l’eau ». L’unicité des matériaux naturels procure à ces villages une indéniable beauté. Les porcs eux-mêmes ont droit à des porcheries perchées sur pilotis !

Sur l’eau on croise des pêcheurs, des cultivateurs, des grands-mères avec leurs petits-fils, des enfants seuls sur de frêles embarcations godillants comme des adultes, des mères qui ramènent leur progéniture de l’école, bref toute la vie qui d’ordinaire anime les rues des villages « terrestres ».

Tisserands, forgerons bijoutiers, les artisans ont également des ateliers sur le lac. La forge et le travail des lames d’aciers rougies ont impressionné les Piche. Du soufflet manuel à l’enclume, jusqu’aux masses, maniées par trois costauds, qui s’abattent à tour de rôle pour donner sa forme à la pièce d’acier, rien n’a changé dans ce tableau depuis des siècles.

Partis en ballade à vélo autour du lac Inle, les Piche et leurs amis se sont ingéniés à se perdre dans des chemins de traverses. Au bout de l’un d’eux, ils croient débarquer chez des alchimistes. Dans des grands chaudrons fumants et écumants bouillonne un étrange liquide verdâtre. Muni d’une grosse louche à très long manche un homme transvase les contenus tandis qu’une femme pousse les feux en chargeant de résidu de canne à sucre le foyer situé sous les chaudrons. La transmutation qui s’opère là est celle du jus de canne, en sucre de canne. Elle ne rapporte pas beaucoup d’or…

Plus loin, un autre chemin aboutit dans un hameau où un paysan invite les promeneurs dans sa pauvre maison. Même sur terre, les maisons dans la campagne birmane sont sur pilotis. Une échelle de bambou inclinée sert d’escalier glissant pour accéder à l’étage. Assis sur des nattes tressées, les Piche et leurs amis sont reçus avec une gentillesse touchante. Thé, couenne de porc grillée, le premier geste des pauvres, ici comme ailleurs, est d’offrir, de donner. Le paysan est très fier de présenter six de ses dix enfants âgés de 20 ans à 2 ans. L’un d’eux, 13 ans, parle un peu l’anglais qu’il apprend à l’école. Une de ses soeurs de 20 ans ne semble pas avoir bénéficié du même apprentissage.

Ailleurs, le hasard conduit les Piche dans une clairière où trône un monastère de teck. Invités à pénétrer dans ce lieu, les promeneurs sont à nouveau accueillis de façon on ne peut plus amicale avec force sourires. Surprise ! Le vieux moine, maître des lieux, connaît des mots de français qu’il mêle à l’anglais. Tout de suite il porte des jugements péremptoires : « Les Français, good, good, the best », « les Anglais », grimace et pouce vers le bas, « les Allemands », même geste, « les Italiens, les Espagnols, good, good ». Puis, le moine se lance dans l’énumération des présidents français depuis Sarkosy en remontant jusqu’à De Gaulle (avec un geste pour dessiner un gros nez) sans en omettre un seul. Viennent ensuite les grandes villes françaises, les châteaux de la Loire et… le nom d’un artiste très connu, précise-t-il, ancien, dont ni les Piche ni leurs amis ne comprennent le nom. Il faut dire que l’accent franco-birman du moine ne les aide pas. A force de répétitions, tout à coup, illumination de Raoul « BB! », « Brigitte Bardot s’exclame-t-il en dessinant à son tour avec les mains les formes féminines généreuses de la vedette », « Oui, oui ! Birgggittte Beurtot », s’enthousiasme le moine tout frétillant qui retrouve sa jeunesse.

A l’évocation joyeuse de BB dans ce sombre monastère, les Piche mesurent toute la distance qui sépare certaines dispositions spirituelles d’autres…

La rencontre avec Aung San Suu Kyi

Lundi 19 mars 2012

Garée dans la rue qui conduit au marché de Bagan, une calèche porte, bien en vue, deux portraits : ceux de Aung San, père de l’indépendance de la Birmanie et de Aung San Suu Kyi, sa fille. Prix Nobel de la paix, la « Mandela » d’Asie, l’émule de Gandhi qui prône la non violence est omniprésente, en image, sur les étals de rue comme dans les taxis, signe d’une libéralisation apparente.

Après la calèche, les Piche passent devant le siège local de la « National league for democratie » (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi, qui arbore des banderoles fraîchement imprimées. Plus loin, ils s’étonnent de la foule massée des deux côtés de la route. Rose questionne une femme qui lui répond :

- Nous attendons notre leader, Aung San Suu Kyi, vous la connaissez ?

- Si nous la connaissons ? Mais le monde entier la connaît ! Elle doit passer par là ?

- Oui, oui elle va passer par là, répond la femme avec enthousiasme.

Branle bas de combat du côté des Piche et de leurs amis Chantal et Patrice. On s’enquiert de la trajectoire prévue, on fourbit caméras et appareils photos et chacun se perd rapidement dans la foule.

Au loin, Rose et Raoul semblent deviner des flashs qui crépitent, des voitures paraissent arrêtées. Ils se dirigent dans cette direction. Mais rien. Fausse alerte. Autour d’eux, sans qu’ils comprennent pourquoi, les gens traversent la route pour se placer sur un même bord. Rose et Raoul restent seuls du « mauvais côté ».

Raoul aperçoit un puits entouré d’un mur d’un bon mètre de haut, il grimpe dessus ce qui lui donne une vue parfaitement dégagée.

Il remarque alors une colonne de voitures qui avance lentement au loin et la foule qui s’agglutine autour. « Elle » est là, habillée de rouge, dépassant du toit de sa voiture, resplendissante. Raoul filme. Le cortège s’approche jusqu’à parvenir à proximité immédiate de la position stratégique de Raoul.

Aung San Suu Kyi salue la foule, non pas négligemment mais avec attention en cherchant le regard des gens. Elle arbore un superbe sourire. Son regard se porte vers la silhouette occidentale perchée sur un muret. Au même moment, Raoul qui a écarté la caméra de son visage la salue de la main. Elle lui répond du même geste, ses yeux rencontrant ceux de Raoul Piche, tout ému.

Le cortège poursuit lentement sa route entourée d’une nuée de motocyclistes et de piétons qui tentent de prolonger ce moment de grâce.

Rose et Raoul essaient de suivre mais y renoncent finalement. La rencontre a eu lieu et elle a été parfaite dans sa brièveté.

Arrêtés devant une échoppe, ils regardent les images prises, en compagnie des deux femmes birmanes qui s’excitent lorsque sur le petit écran, elles voient Aung San Suu Kyi, plein cadre, saluer la caméra. L’une d’elle tape de la main l’épaule de Raoul en tressautant sur place et en prononçant des paroles manifestement joyeuses mais totalement incompréhensibles pour les Piche. Bref instant de joie partagée.

Plus tard, en lisant le livre que Thierry Falise lui a consacré, Raoul lit les lignes suivantes :

« … mais c’est surtout le regard qui s’est affirmé. Intense, profond, scrutateur, dont on ne s’échappe qu’intimidé ou envoûté. C’est le regard de son père. » Et, Raoul de dire à Rose :

- C’est ce regard là que j’ai vu.

On a toujours besoin d’un petit Bouddha chez soi

Lundi 19 mars 2012

Aux jeux Olympiques du Bouddhisme la Birmanie écrase tous ses compétiteurs. Le Cambodge, Le Laos, le Vietnam, l’Inde, la Chine, aucun n’approche la Birmanie pour le nombre de stupas, de pagodes, de temples, de bouddhas au kilomètre carré.

Les stupas, édifices en forme de cloches sont omniprésents en ville et dans les campagnes. Parfois, ils transforment des collines ou des plaines banales en paysage sublime (Mandalay, Bagan). En briques roses pour les plus anciens (les plus beaux), peints en blanc pour les plus communs, couleur or pour ceux qui font semblant d’être en or, en or 24 carats pour ceux qui ne font pas semblant. A Rangoon, l’un d’eux, monumental, est couvert de 700 kg de métal précieux. Rose prétend qu’avec l’envolée du cours de l’or s’ensuit une envolée de la glorification du Bouddha. Plus on s’enfonce dans la crise, plus l’or monte, plus Bouddha est remercié.

Bouddhisme philosophie ou religion, à l’écart de ce débat éculé Raoul Piche mondialement inconnu pour ses études sur les croyances développe la théorie suivante : Bouddha était un hippie. En effet, au coeur de chaque stupa se trouve un fragment de cheveu du Bouddha, ce dernier devait donc avoir une tignasse longue et abondante pour approvisionner ces innombrables édifices. A sa mort, toujours selon Raoul Piche, on a coupé ses cheveux en quatre, puis à nouveau en quatre, etc. (d’où l’expression populaire bien connue). Cela a permis d’en placer un peu sous chaque stupa.

Ce gourou-hippie, même s’il n’est pas un dieu est révéré comme tel. Une façon d’exprimer cette dévotion, hormis les stupas, consiste à édifier des statues à son image. Plus elles sont nombreuses, plus elles sont grandes, plus elles sont riches plus forte est la révérence.

Sur ce terrain aussi la Birmanie bat tous les records. Assis, debouts, couchés, couverts d’or, alignés par milliers la statuaire birmane du Bouddha est hors concours.

Le plus grand est debout, il mesure 116 mètres de haut, suivi par le « couché » 55 mètres seulement. Les plus nombreux, de quelques centimètres à peine, placés côte à côte comme les caractères d’un mot forment des lignes et des pages d’écriture sur les murs d’un temple kitchissime de Mandalay. Dans ce lieu unique, on en compte plusieurs centaines de milliers !

Un des Bouddha parmi les plus dorés, également à Mandaly, souffre d’hypertrophie plantaire. N’importe qui peut venir lui plaquer des feuilles d’or dessus. Les amateurs sont tellement nombreux et la  partie la plus accessible de sa personne étant les pieds, c’est là que l’or s’accumule. Ses extrémités auraient pris 20 centimètres d’embonpoint selon les meilleurs auteurs. Raoul Piche et son ami Patrice ont investi un euro cinquante d’or, soit dix feuilles, qu’ils ont été coller sur l’orteil droit du Bouddha espérant qu’ainsi ils éviteraient les ampoules au pied. Force est de constater que « ça marche ». Ni l’un, ni l’autre n’ont eu d’ampoules.

La fabrication des feuilles d’or est techniquement spectaculaire. Pour cela il faut de l’or, bien sûr, 12 grammes, un marteau, un gros de 3 kg, du bambou et deux esclaves. Le bambou sert à produire une feuille sur laquelle l’or n’adhère pas. Avec le marteau, un esclave frappe pendant une heure sur l’or (protégé, naturellement). Il en fait tripler la surface. Son collègue prend le relais pour une heure encore, nouvelle extension. Ainsi de suite 5 heures durant. L’or atteint alors une épaisseur de 0,00027 cm ce qui permet de produire 1800 feuilles carrées de 5×5 cm qui servent à dorer et à adorer Bouddha.

Comme il est toujours utile d’avoir un Bouddha chez soi, des artisans en sculptent à la chaîne  en sortie de Mandalay. Vous vous souvenez des sculpteurs de sphinx dans « Astérix et Cléopatre »? Eh bien ! ce sont les mêmes. Alignés les uns à côté des autres ils sculptent à la masse et au burin,  avec meuleuses, ponçeuses et polisseuses, des blocs de marbre de toutes tailles. Ni masque de protection, ni lunettes, ces artisans très jeunes ont la tête constamment dans un nuage de poussière de pierre qu’ils respirent à plein poumons.

Face à ce spectacle Rose déclare « pourvu que Bouddha fasse des miracles ». Raoul, cette fois-ci n’est pas trop sûr que « ça marche ».

Train d’enfer

Lundi 19 mars 2012

Train d’enfer

Pour rallier Mandalay, ancienne capitale de la Birmanie, à Rangoon, capitale actuelle, les Piche et leurs amis Chantal et Patrice avaient le choix : bus, train ou avion. Ils ont opté pour le train. Mauvaise pioche.

Dès 5h30 du matin ils sont sur le quai et cherchent leur voiture parmi les « upper class » (première). De l’extérieur elle ressemble à une sorte d’autorail. A l’intérieur, c’est le choc. Les sièges sont larges mais complètement déglingués, leur tissu a vu tant de passagers se frotter à lui qu’il n’a plus de teinte quant au dossier il est recouvert d’une sorte de maillot de footballeur brésilien, d’après match, vert et jaune. Le sol n’a pas senti la caresse d’une serpillière depuis la construction du wagon et les fenêtres laissent passer une lumière tamisée par la crasse.

Dans un moment d’optimisme, Raoul extrait une tablette incluse dans l’accoudoir de son siège (upper class, vous dis-je). Il la renfourne aussitôt en découvrant une surface poisseuse verdâtre genre papier tue mouche sur laquelle est collée une tonne de poussière et autres reliefs de repas.

Il n’empêche à 6h pile le train s’ébranle et pour les Piche c’est bien l’essentiel.

Une fois quittés les faubourgs de Rangoon, la vitesse de croisière de 50Km/h est atteinte. Puis, progressivement le train commence à se balancer d’un bord sur l’autre. Le mouvement s’amplifie jusqu’à atteindre l’amplitude du roulis sur un bateau, Raoul qui sait qu’un train n’a pas de quille se demande s’il ne va pas quitter les rails tant le balancement est fort. Mais non, cette agitation cesse jusqu-à ce qu’une autre, plus terrible, la remplace. Au roulis succède un mouvement de bas en haut d’une telle ampleur que la marche dans les allées est impossible. Les bras et le buste des passagers sont agités de gestes verticaux irrépressibles. Tout le wagon est atteint de Parkinson aiguë, y compris les seins des femmes ! (ce qui est rare avec cette maladie).

Ce pompage vertical donne l’impression que le wagon va sauter hors des rails pour se retrouver sur le ballast. Là encore, miracle, le phénomène cesse mais ce n’est que provisoire il reprend de façon intermittente et toujours aussi inquiétante, tout au long du trajet jusqu’à Mandalay. Lorsque Chantal, qui se dirige vers les toilettes, s’immobilise et se cramponne aux sièges parce qu’une violente séance de pompage vertical recommence, Rose éclate de rire. Devant le regard interrogatif de Raoul elle dit :

- Je l’imagine dans les wc avec ces mouvements !

Mission impossible.

Il arrive que le train ni ne pompe ni ne se balance. Alors les vendeurs ambulants passent et repassent en hurlant pour annoncer leur commerce et surmonter le vacarme ambiant, portes et fenêtres  grandement ouvertes pour un peu de fraîcheur laissant entrer le grondement des boogies . Passent et repassent également dans l’allée centrale et sous les sièges de mignonnes petites souris. Enfin, c’est Raoul qui les trouve gentilles, Rose n’a pas la même opinion.

Ce qui devait arriver arriva. Au cours d’une séance de pompage plus forte que les autres un bruit extrême retentit et le train s’immobilise en pleine nuit, en rase campagne. Des lumières s’agitent sous les wagons, les mécaniciens tapent ici et là, au bout d’une demi-heure le train repart. Il reprend sa folle allure de 50 Km/h quand bing, nouveau pompage violent, bruit violent, arrêt.

Il faudra pas moins de 18 heures à ce manège forain pour finalement arriver à destination. 600 kilomètres parcourus à 33 Km/h de moyenne, mieux qu’un vélo.

A Mandalay, les Piche rencontrent une touriste italienne qui a pris ce train un jour après eux. Le visage encore halluciné elle commente son expérience ainsi :

- Après un tel voyage, je n’ai pas besoin de check up. Je sais que mon coeur tient bon.

Et d’ajouter :

- Si on a un ennemi, il faut absolument lui recommander ce voyage.