Cités lacustres et moine francophile

Le lac Inle n’est pas un lac comme les autres. La vie ne s’y organise pas autour mais dessus. Les villages formés de maisons plantées sur des forêts de pilotis se trouvent sur l’eau. Les habitants se déplacent uniquement en barque et cultivent des jardins flottants dont ils parcourent les allées sur des canoës plats à coup de pagaie ou de godille.

Singulière godille puisqu’elle est actionnée par le rameur en position debout à l’aide de sa jambe droite enroulée sur elle. Bel exercice d’équilibre, le rameur se tient sur une seule jambe, l’autre écartée sur le côté au-dessus de l’eau actionnant avec vigueur l’étrange propulseur.

Pour aller d’un village à l’autre et transporter hommes et marchandises ce sont de longues, fines et élégantes barques en teck (de Birmanie, bien sûr, commerce local oblige) qui sont utilisées.

Les maisons en bois et bambou tressé vont du plus rudimentaire au plus sophistiqué, notamment celles destinées à accueillir les riches touristes « les pieds dans l’eau ». L’unicité des matériaux naturels procure à ces villages une indéniable beauté. Les porcs eux-mêmes ont droit à des porcheries perchées sur pilotis !

Sur l’eau on croise des pêcheurs, des cultivateurs, des grands-mères avec leurs petits-fils, des enfants seuls sur de frêles embarcations godillants comme des adultes, des mères qui ramènent leur progéniture de l’école, bref toute la vie qui d’ordinaire anime les rues des villages « terrestres ».

Tisserands, forgerons bijoutiers, les artisans ont également des ateliers sur le lac. La forge et le travail des lames d’aciers rougies ont impressionné les Piche. Du soufflet manuel à l’enclume, jusqu’aux masses, maniées par trois costauds, qui s’abattent à tour de rôle pour donner sa forme à la pièce d’acier, rien n’a changé dans ce tableau depuis des siècles.

Partis en ballade à vélo autour du lac Inle, les Piche et leurs amis se sont ingéniés à se perdre dans des chemins de traverses. Au bout de l’un d’eux, ils croient débarquer chez des alchimistes. Dans des grands chaudrons fumants et écumants bouillonne un étrange liquide verdâtre. Muni d’une grosse louche à très long manche un homme transvase les contenus tandis qu’une femme pousse les feux en chargeant de résidu de canne à sucre le foyer situé sous les chaudrons. La transmutation qui s’opère là est celle du jus de canne, en sucre de canne. Elle ne rapporte pas beaucoup d’or…

Plus loin, un autre chemin aboutit dans un hameau où un paysan invite les promeneurs dans sa pauvre maison. Même sur terre, les maisons dans la campagne birmane sont sur pilotis. Une échelle de bambou inclinée sert d’escalier glissant pour accéder à l’étage. Assis sur des nattes tressées, les Piche et leurs amis sont reçus avec une gentillesse touchante. Thé, couenne de porc grillée, le premier geste des pauvres, ici comme ailleurs, est d’offrir, de donner. Le paysan est très fier de présenter six de ses dix enfants âgés de 20 ans à 2 ans. L’un d’eux, 13 ans, parle un peu l’anglais qu’il apprend à l’école. Une de ses soeurs de 20 ans ne semble pas avoir bénéficié du même apprentissage.

Ailleurs, le hasard conduit les Piche dans une clairière où trône un monastère de teck. Invités à pénétrer dans ce lieu, les promeneurs sont à nouveau accueillis de façon on ne peut plus amicale avec force sourires. Surprise ! Le vieux moine, maître des lieux, connaît des mots de français qu’il mêle à l’anglais. Tout de suite il porte des jugements péremptoires : « Les Français, good, good, the best », « les Anglais », grimace et pouce vers le bas, « les Allemands », même geste, « les Italiens, les Espagnols, good, good ». Puis, le moine se lance dans l’énumération des présidents français depuis Sarkosy en remontant jusqu’à De Gaulle (avec un geste pour dessiner un gros nez) sans en omettre un seul. Viennent ensuite les grandes villes françaises, les châteaux de la Loire et… le nom d’un artiste très connu, précise-t-il, ancien, dont ni les Piche ni leurs amis ne comprennent le nom. Il faut dire que l’accent franco-birman du moine ne les aide pas. A force de répétitions, tout à coup, illumination de Raoul « BB! », « Brigitte Bardot s’exclame-t-il en dessinant à son tour avec les mains les formes féminines généreuses de la vedette », « Oui, oui ! Birgggittte Beurtot », s’enthousiasme le moine tout frétillant qui retrouve sa jeunesse.

A l’évocation joyeuse de BB dans ce sombre monastère, les Piche mesurent toute la distance qui sépare certaines dispositions spirituelles d’autres…

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