Archive pour la catégorie ‘Argentine Buenos Aires 2013’

La Confitería Ideal

Samedi 23 février 2013

Carlos Gradel a chanté là, Maurice Chevalier y est venu tout comme Vittorio Gassman, des scènes des films « Tango » et « Evita » y ont été tournées. C’est dire si « La Confitería Ideal », café mais surtout haut lieu de rencontre des passionnés du tango, appartient à l’histoire de Buenos Aires.

Son style art déco du début du XX ème siècle l’a figée à cette époque. Colonnes de marbre, coupole de fer forgé, vitraux tchèques, percolateurs centenaires, services de cristal, lustres et appliques inondant la salle de bal de mille feux, en 2013 on est encore en 1912.

Même les danseurs qui évoluent sur la piste semblent d’époque. Là, un jeune couple, lui en pantalon trop ample, elle avec une longue robe et des chaussures à talons hauts et fins, enchaînent des passes savantes avec délice. Plus loin, un couple entre deux âges, lui tout de blanc vêtu, moustache et barbe au menton, entraîne une femme « embijoutée » dans une danse coquine.

Le haut des corps semble figé mais les jambes tournoient, se croisent, se frottent, s’entre-croisent, sont vivement jetées vers l’arrière puis s’écartent en ciseau vers la gauche, le couple se serre, se colle, s’écarte, tournoie, multiplie des pas qui lui font faire le tour de l’immense piste de marbre. La danseuse frotte son pied sur le pantalon du danseur, oh!

On retrouve les origines du tango, cette danse de malfrats qui sévissait à la Boca, le quartier du port où les machos immigrés italiens imposaient leur loi. Immigration massive qui a fait dire que « les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens descendent des Incas, et les Argentins descendent… du bateau. »

Évidemment, c’est dans cette célébrissime « milonga » que Rose prend sa première leçon de tango. Même si le tango se veut danse d’improvisation, son apprentissage se révèle très technique : avant, pivot, écartement à droite, arrière, croisé, la gamme des pas de base est sans limite.

Après la grammaire espagnole voilà Rose qui apprend celle du tango. Pas si simple qu’elle le croyait. L’apprentissage durera plus que prévu. Raoul qui connaît ses limites plus que réduites en ce domaine, reste sagement à observer les lieux et les danseurs.

Après cette plongée dans le passé, les Piche se réjouissent que « La Confitería Ideal » n’ait pas été gagnée par la « mondialisation » comme bien d’autres lieux fameux de Buenos Aires. Sans vouloir fâcher leurs amis anglo saxons, Rose et Raoul trouvent que les noms d’origine des cafés porteños, « La Orchidea », « La Poesia », « Café Tortoni », « Café de los Angelitos », « Las Violetas », « Mundo bizarro » sonnent tout de même mieux que les rugueux « Starbuck’s » (beurk!), « Mac Donald’s » et autres « Burger King » qui les ont trop souvent remplacés dans des superbes édifices prestigieux du coeur de ville.

Mais les Argentins ne sont pas comme les Piche, ils acceptent plus volontiers la domination linguistique et culturelle étatsuniène (« estadounidense» comme il est dit ici où l’on demeure malgré tout chatouilleux sur l’appropriation des termes Amérique et Américains par les seuls « Etatsuniens »). Pour preuve les films à l’affiche dans les principales salles de la ville qui sont quasi exclusivement les « blockbusters » (et allons-y !!!) hollywoodiens en version originale sous-titrée. « C’est bien, comme ça, les aveugles peuvent lire ce qui se dit » lâche un Piche qui ne sera pas dénoncé dans ces lignes car il exerce des menaces à l’encontre de l’autre Piche, « si tu me dénonces, je dirai comment tu conjugues l’auxiliaire « haber » (avoir) en « haribo » (bonbon à la réglisse fabriqué à Uzès…) ».

C’est tendu en ce moment chez les Piche.

A Bientôt.

Cocktail molotov

Dimanche 10 février 2013

« Vous mettez un peu de chlorate de potassium et du sucre dans un papier, vous le pliez, ce sera le détonateur. Vous le collez sur la bouteille qui, elle, sera remplie d’essence ».

L’explosion d’une toute belle 2cv Citroën blanche bombardée par plusieurs cocktails molotov lancés par des artistes prouve que la recette marche. La preuve, la deudeuche est là devant les Piche, a moitié calcinée, posée sur d’épais traités de droit constitutionnel au milieu de la salle d’exposition du parc de la mémoire dédié aux victimes du terrorisme d’Etat.

Le cours d’explosif est présenté dans une vidéo qui explique l’origine et la raison de cette oeuvre d’art. Elle a été enregistrée par un survivant des émeutes de Cordoba contre la dictature argentine des années 70.

Inauguré assez récemment, ce parc de 14 hectares a été livré aux artistes plutôt qu’aux historiens. Le résultat est remarquable. Notamment, la longue promenade en bordure du Rio de la Plata où, sur chaque lampadaire, un groupe d’artistes a affiché une série de panneaux imitant la signalétique à base de pictogrammes. Terribles, à force d’expression synthétique des actions de la dictature.

Quelques exemples : sur un panneau en losange, fond jaune, un à plat noir dessine la forme d’un avion, et, dans l’avion, un homme. Ce sont les vols de la mort. Ces milliers de prisonniers que la dictature a précipité depuis des avions dans le Rio de la Plata. Foin de longs discours, tout est dit en une image ultra simple. Et le Rio de la Plata est là à quelques mètres…

Même type de panneau, même fond jaune, même simplicité, une succession de barres verticales noires, et, derrière les barres, le profil d’une femme au ventre rond. Evocation des bébés volés aux femmes enceintes, incarcérées puis assassinées.

Emus par ce lieu de mémoire dont l’intelligence fait ressortir en contre-point la brutalité de la bêtise humaine, les Piche ne peuvent s’empêcher de se remémorer d’autres lieux de mémoire rencontrés lors de précédents voyages.

Celui de Nankin qui perpétue le massacre de 300 000 Chinois de la ville par l’armée japonaise. Un lieu impressionnant par sa dignité et son contenu historique.

Celui du chemin de fer de la mort (death railway) à Kanchanaburi en Thaïlande à la frontière de la Malaisie, rendu célèbre par le film « Le pont de la rivière Kwaï ». Dans ce défilé reliant les deux pays des jeunes, Hollandais et Britanniques, tombaient comme des mouches.

Celui de la marche de la mort (encore et toujours) aux Philippines. Une marche forcée de 97 km, décidée par les Japonais, qui a fait plus de 20 000 victimes philippines et américaines en quelques jours.

Tout ces lieux ont un point commun : ils parlent pour les victimes. Et, comme à Buenos Aires, elles nous disent « nunca mas ! ». Plus jamais ça !

Les Piche ne sont pas loin de penser que c’est vraiment le moment de bien écouter leur message.

A bientôt

Montevideo, immersion périscopique

Lundi 28 janvier 2013

Les Piche poursuivent leur immersion sud américaine. Habitués qu’ils sont à naviguer en surface, ils ont du mal à descendre sous ce niveau. On ne passe pas aisément du voilier au sous-marin. C’est un peu contre nature. Alors, Rose et Raoul n’ont rien trouvé de mieux pour suivre des cours d’espagnol que de s’inscrire à … l’Alliance Francaise de Buenos Aires. Ici ce sont les vacances d’été et les étudiants sont sur les plages. Pour payer ses frais fixes l’Alliance Française propose donc aux Français de passage des cours intensifs d’espagnol à des prix défiant toute concurrence.

Immersion uruguayenne la semaine passée, à faible profondeur, là encore.

Les amis uruguayens chez qui les Piche résidaient vivent depuis des décennies à Paris et parlent le français à la perfection. Bien sûr, de temps en temps, les échanges se sont pratiqués en espagnol mais pour débattre du rôle de la pensée clanique dans la société moderne (le hobby de leur hôte, Miguel), difficile de ne pas remonter à la surface de la langue française et à ses horizons sans limite.

A Montévidéo, moment d’émotion lorsque Rose et Raoul apprennent que Miguel, réfugié politique en France dans les années 70 a vécu dans le même foyer de la Cimade à Massy où ils résidaient eux-mêmes à la fin des années 60 et qui a joué un si grand rôle dans leur vie.

Emotion prolongée lors d’un repas avec une dizaine de personnes quasiment toutes anciennes réfugiées politiques en France, revenues dans leur pays après la dictature. A nouveau, donc, immersion périscopique pour les Piche. La conversation remontant aisément de l’espagnol vers le français avec ces bilingues, ravis de pratiquer la langue de Molière et ces Piche ravis de délaisser celle de Cervantès pour mieux comprendre et se faire comprendre sur des sujets difficiles.

Comme le tour de table (sociologue, députée, avocate, membre de l’Unesco, directrice d’ONG, etc.) ne manquait pas de conversation, les Piche ont souvent fait surface pour ne pas plonger au plus profond des abîmes de l’incompréhension.

Mis en confiance par l’ambiance très amicale, Raoul a répondu en toute franchise à la question de l’amie avocate « penses tu que la France a eu raison d’intervenir au Mali ? » par un « oui » franc et massif. Une opinion, peu partagée par les convives, lesquels gardent un souvenir cuisant d’une autre intervention, celle des Américains dans leur pays dans les années 70 (via la CIA). Raoul, lui, pensait aux Maliens rencontrés il y a deux ans dans leur pays et qui ne leur avaient pas semblé appeler de tous leurs voeux l’application d’une charia pure et dure à Segou, Mopti ou Bamako. Comparaison n’est pas toujours raison. Surtout s’agissant de l’Afrique.

Les Piche comprennent fort bien ce qui est écrit sur les étiquettes des bouteilles de vin. Pourtant, elles leurs réservent parfois des surprises : Pinot noir (là ça va) mais « blanc de noirs » (en français dans le texte) c’est conceptuellement plus difficile à percevoir, surtout lorsque le vin est… rosé! Il existe une explication, on laisse au lecteur le soin de la trouver.

Les Piche vous quittent pour retourner en immersion chez le boucher. Le mot nouveau à tester est « grueso » : « quisiera un trozo de lomo grueso », « je voudrais un morceau de filet épais ». S’il revient avec une tranche de jambon cuit, Raoul n’aura plus qu’à noyer son désespoir en prenant un submarino, pur produit argentino-uruguayen. Ceux qui ont suivi les Piche en Argentine en 2005 savent ce que c’est. Ils ont oublié ? Ah! Eh bien qu’ils fassent comme Raoul qu’ils révisent !

A bientôt

PS 4cm d’épaisseur le morceau ! Raoul s’est bien fait comprendre.

PS Les textes des Piche sont sur le blog : http://www.raoulpiche.fr/

Buenos Aires, la boucherie !

Dimanche 20 janvier 2013

Depuis 10 jours les Piche sont à Buenos Aires et ils y restent. Un exploit. D’habitude, quelques jours après être arrivés dans un pays il commencent à le parcourir en tous sens.

Cette année, ils ont décidé de tenter une nouvelle expérience : le voyage « en immersion ». Autrement dit, s’installer et vivre la vie de tous les jours des habitants d’une ville. Apprendre leur langue, partager leurs principaux centres d’intérêt et si possible des moments de vie avec eux.

Les Piche ont donc élu domicile dans un petit appartement au second étage d’un immeuble de l’avenue de l’Etat d’Israel à Buenos Aires. Il se trouve dans un quartier « à vivre », pas dans une zone touristique, un peu le 12ème arrondissement de Paris. Le métro est à 10 minutes, le bus au pied de l’immeuble et avec ces moyens de transport le coeur de la ville à 15 ou 20 minutes. Les petits commerces sont nombreux.

Premier contact avec la vie quotidienne argentine, les boucheries. Dans un rayon de 5 minutes à pied les Piche en comptent une demi douzaine. Il est vrai que les Argentins qui ne sont que 40 millions mangent autant de viande que les Américains qui sont 315 millions, 8 fois plus !

Il faut s’y mettre.

Premier essai dans une boucherie du voisinage. Raoul demande « un lomo de bife », le top des morceaux de boeuf (le filet) et reçoit en retour une rafale de questions dont il devine qu’elles sont destinées à lui demander quel « lomo »? Pour cuisiner comment? Et bien d’autres précisions incompréhensibles pour lui.

« Por hacer asado », lance-t-il timidement espérant faire comprendre qu’il veut tout simplement faire griller son filet de boeuf. Nouvelles questions, grimaces d’incompréhension de Raoul qui se retrouve finalement avec deux mega steaks de « chorizo de bife » pour la faramineuse somme de… 2 euros le steak. Finalement, les Piche se partageront un de ces deux délicieux steaks car ils n’ont pas encore l’entraînement carnivore des porteños pour en engloutir un entier chacun.

Mais juré promis, immersion, immersion ils vont s’occuper de leurs coronaires et augmenter les doses. Pour cela, ils ont commencé à apprendre le vocabulaire technique de la boucherie : cuadril, bife angosto, tira de asado, matambre, bife ancho, solomillo, aguja, bola de lomo devraient leur permettre de faire rapidement grimper leur taux de cholestérol.

On l’aura compris le Raoul a pas mal de chemin à parcourir avant de comprendre et se faire comprendre lorsqu’il s’éloigne du vocabulaire courant du voyageur. Rose est plus à l’aise mais elle laisse volontiers Raoul aller au feu.

Une difficulté supplémentaire attend les Piche. Ici, les sons « yeu » (ll, ye, yo, ya … en espagnol) se disent carrément « che », à l’auvergnate. Donc un vulgaire poulet qui partout en Amérique du sud s’appelle un « pollo » (phonétiquement « pollio ») devient subitement un « pocho ».

Cette prononciation bizarre a conduit Raoul à un contre sens de haute volée.

Dans le petit restaurant de la rue d’à côté, où ils ont leur rond de serviette, Raoul souhaitant mieux connaître leur hôte lui demande comment il s’appelle. La réponse à l’oreille de Raoul est « Chomechamo, José ». Raoul pour qui « Chomechamo » sonne bigrement quechua lui dit « vous êtes indien ? De Salta à la frontière Bolivienne? ». Tête de José ! « Je suis d’origine italienne, je suis né en Calabre! ». Coup de pied sous la table de Rose et rapide précision de sa part : « chomechamo », cela se prononce « yo me llamo » en espagnol (« je m’appelle »).

Raoul vient d’apprendre qu’au sens propre comme au sens figuré, lorsqu’on s’immerge parfois on boit la tasse.

A bientôt

La migration annuelle des Piche a commencé

Samedi 12 janvier 2013

Pour les Piche, le début de l’année marque la grande migration d’hiver. Mais pourquoi migrent-ils ? Les flamands, les cigognes, les hirondelles on comprend. Mais les Piche ?

Mardi dernier, à 4h30 du matin, lorsque le réveil les a tirés d’un profond sommeil pour aller prendre l’avion, Rose et Raoul se sont exclamés de concert, « le voyage commence ! » apportant un début de réponse à cette interrogation : le voyage, c’est rompre avec les habitudes.

Les Piche ne se réveillent jamais à 4h30 du matin !

Voyager, c’est aussi changer de langue et du coup, devenir un peu analphabète, ce qui incite à la modestie. C’est changer de cuisine et apprendre à goûter à tout comme lorsque les parents éduquent leurs enfants (les Piche aiment bien ce retour en enfance).

Voyager, c’est perdre ses repères géographiques et découvrir que dans l’hémisphère austral si l’on se dirige vers le soleil on va vers le nord et non pas vers le sud (après être revenus sur leurs pas sur 2 km, les Piche ont retenu la leçon).

Voyager, même sans être de grands aventuriers, c’est s’étonner. Quel bonheur que l’étonnement ! (tiens ! à l’instant où s’écrivent ces lignes, un « promeneur de chiens » avec une douzaine de toutous en laisses, passe devant les Piche, étonnant, non ?).

Voyager c’est rompre, sans risque certes, mais rompre tout de même. Voyager c’est apprendre et comme l’a écrit un illustre inconnu « tout n’est qu’apprentissage dans la vie! (…) développer des projets et s’adapter aux changements sont des gages de bonheur et de longévité ».

Voilà pourquoi les Piche migrent, ils font leur cure de jouvence. Pourquoi en hiver ? Parce que le Piche est un animal frileux.

De la philosophie tropicale tout ça. Uniquement pour ne pas avoir à raconter comment Rose, tête frisée et seins nus sous un tee shirt polynésien a grillé la priorité à un loubavitch, longue barbe, chemise blanche, chapeau noir, kippa et petites ficelles pour lui piquer les quatre sièges libres qui permettaient de s’allonger dans un Airbus A340 pas trop rempli. Ni pour décrire comment Raoul poursuivant le même homme de son acharnement s’est emparé de son sandwich pas suffisamment cachère à son goût.

Peut être également pour ne pas avoir à préciser que les Piche installés depuis quatre jours rue de l’Etat d’Israel à Buenos Aires n’ont pu s’empêcher de remarquer que la rue parallèle à la leur s’appelle rue de Palestine. Et de se souvenir que les parallèles ne se rencontrent jamais…

Le fait est que, cette année, les Piche ont migré à Buenos Aires pour un voyage qu’ils imaginent très différent des précédents. Ils s’en expliqueront sans doute dans un prochain message.

A bientôt