Sur le Yang Tsé, la croisière s’amuse, un peu…

Yichiang, 13 avril 2006

Allongés sur leurs couchettes, face à la baie vitrée de leur cabine, les Piche contemplent les rives du Yang Tsé qui défilent devant eux.

Le bateau glisse comme un tapis volant, sans bruit et sans accoup.

Pour cette croisière de trois jours, de Chongqing à Yichiang, ils se sont offert “la première classe” afin de disposer d’une cabine pour eux seuls. Après sept semaines de voyage en Chine ils souhaitent un brin de confort, sinon de luxe.

Mais le seul luxe de leur cabine réside dans la peinture blanche récemment refaite des murs. Pour le reste… Les dimensions sont inférieures à leur chambre de Hong Kong (ils ne croyaient pas cela possible) avec une moquette qui a probablement été luxueuse lors de l’invention des moquettes au siècle dernier. Quant à la “salle de bain”, rien ne lui manque, pas même son grand âge et peut être aussi un brin d’espace. Le pommeau de douche est situé à la verticale de la cuvette des wc, eux mêmes placés 20 cm devant les lavabos.

Le mieux est encore de se doucher assis sur les wc. Raoul parle de faire d’une pierre deux coups. Rose fait semblant de ne pas comprendre

A 21 heures le restaurant du bord ouvre. Affamés après une longue journée de voyage, les Piche s’installent à une table. Ils y seraient encore, attendant qu’on les serve, si Rose n’avait fini par se lever pour commander. Sur ce bateau où tout est écrit en chinois et dont aucun membre du personnel ne parle anglais les communications sont souvent cocasses et jamais tristes.

Rose finit par comprendre la procédure pour manger :

- descendre au pont numéro un

- consulter le menu en chinois au bureau de gestion du bateau

- choisir son plat (??!)

- payer

- recevoir en échange du paiement un plaquette portant un numéro

- remonter au pont supérieur dans la salle de restaurant

- s’asseoir et attendre l’appel du numéro

Simple.

Les plats sont bons et les Piche renouvelleront souvent la procédure. Pour “choisir” leur repas ils présentent leur propre liste de mets sur un manuel de conversation bilingue, espérant qu’une vague correspondance existe avec le menu du bord. Si les résultats sont parfois étonnants, ils sont en général très comestibles.

La nuit, le bateau fait escale. Le plus grand calme règne à bord. Les moteurs sont stoppés, les générateurs également. D’où une absence totale d’éclairage et d’eau (à bord d’un bateau, sans pompe, pas d’eau…).

A 6 heures du matin, une annonce tonitruante, en chinois, répétée à satiété décrit la prochaine visite à terre (en général inintéressante). A 6h30 lorsque l’annonce cesse enfin, les Piche se rendorment.

A leur réveil, ils découvrent que les toilettes se sont transformées en pédiluve : le niveau d’eau au sol s’élève à 7 cm, les tongues en plastique flottent. Il faudra beaucoup d’insistance et les interventions successives de quatre personnes pour obtenir que le niveau baisse !

Douze heures après le départ, en parcourant les coursives des première, seconde, troisième et quatrième classes Rose et Raoul ont plus le sentiment de se trouver à bord d’un bateau d’immigrants que de participer à une croisière “de luxe”. Détritus, poubelles pleines, portes ouvertes sur le désordre des cabines, hommes déambulant en “marcel” ou en pyjama, odeurs de nourriture.

Les ponts extérieurs constituent les refuges les plus agréables. Là au moins règne le grand air.

Alors qu’elle hume l’oxygène à plein poumons sur le pont arrière, Rose aperçoit un superbe rongeur à longue queue qui cherche sa voie. Il furète sur la tôle d’acier et finit par s’introduire dans un tuyau qui pénètre dans le “bar salon” du pont supérieur. Rose décide d’y pénétrer aussi, en passant par la porte. Elle tente d’observer la sortie de la canalisation où a disparu l’animal. En vain. Un monticule de provisions cache le débouché et sans doute la bête. Bonne pioche pour elle!

Ce n’est que le second jour, lorsque le bateau aborde les premières des trois gorges du Yang Tsé que le paysage devient spectaculaire. En plus ample, il rappelle à Rose et Raoul, les gorges de l’Ardèche.

Le trafic fluvial est intense, les péniches de transport de matériaux le disputent aux petits porte-conteneurs. Avant les gorges et entre elles lorsque les rives sont moins abruptes, les Piche aperçoivent des villes industrielles, de nombreux dépôts de charbon et quelques villages.

Partout des pancartes indiquent “175 m”, le futur niveau du Yang Tsé, lorsque le fameux barrage “des trois gorges” sera totalement en eau. Tout ce qui se trouve en dessous sera englouti. Dans cet espace des maisons sont déjà abandonnées, d’autres non. Des villages entiers vont disparaître. La plupart seront en fait détruits par les pelleteuses avant la montée des eaux.

Le troisième jour, le navire atteint Yichiang où est construit “le plus grand barrage du monde” dont la puissance sera équivalente à celle de 18 centrales nucléaires. En outre, il régulera le Yang Tsé supprimant ses crues catastrophiques qui ont tué un million de personnes au XX ème siècle. Des morts que les média occidentaux oublient pour ne voir que le problème (réel) des personnes déplacées.

Au premier coup d’oeil le mur de béton de 2,3 km de long et de 185 mètres de haut n’impressionne guère les Piche. Il est vrai qu’ils l’observent à deux kilomètres de distance pour l’apercevoir dans sa totalité. Lorsqu’ils se trouvent dessus, un peu plus tard, la perception est tout autre ! La dimension colossale de l’ouvrage est saisissante.

En soirée, le bateau franchit les cinq immenses écluses qui “descendent” les navires de 110 m (encore un record du monde dont les Chinois tirent fierté) . Dans leur cabine, les Piche ont la sensation d’être dans un ascenseur. Un mur graisseux noir défile rapidement à quelques centimètres de la baie vitré.

A six heures du matin Rose réveille Raoul.

- Il faut partir, tout le monde est descendu .

- Mais je veux dormir jusqu’à huit heures !

- Je te dis qu’il n’y a plus personne, les femmes de ménage font les chambres.

Raoul jette un oeil dans la coursive, elle est encombrée de draps, les portes des cabines sont ouvertes.

- Ah! oui, tout le monde a quitté le navire. Sauf les rats. Il est temps d’y aller.

PS “Il est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère.” Proverbe chinois.

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