L’art d’acheter un chameau

Nagaur, 8 février

Sur la crête d’un monticule de terre qui domine le désert, les trois chameaux avancent de leur pas de sénateur. Seules les clochettes que l’un d’eux porte autour du cou rompt le silence. Rose mène la marche devant Raoul lui-même suivi par Yves, un ami de rencontre.

Raoul, habituellement réticent à se trouver sur le dos d’un animal apprécie le confort du chameau, le calme extrême de sa marche et la facilité avec laquelle il se laisse guider. Il est vrai que les rennes sont directement reliés à un piercing placé dans ses naseaux. A chaque pas les pattes se posent sur le sol en s’affaissant comme des coussins d’huile. A l’inverse des chevaux et des éléphants, rien ne les distrait de leur marche paisible. La position haute du cavalier procure une vue qui porte loin et donne le sentiment de dominer le désert. Raoul est prêt à parcourir des kilomètres ainsi. Mais lorsqu’à une halte il descend et reste figé, les jambes tenues écartées par un tiraillement douloureux des articulations des hanches, son enthousiasme faiblit.

Il n’empêche, l’animal lui plait, aussi se rend-il avec Rose et deux amis à Nagaur, à 200 kilomètres de là, où se tient une foire aux chameaux.

Des centaines y sont à vendre au plus offrant. Raoul négocie comme un vieux maquignon. Les prix d’attaque partent à 15000 roupies (300 euros) et descendent jusqu’à 8000 roupies (environ 150 euros) pour un mâle en pleine forme. Dans la même ville, une petite moto coûte 6 fois plus cher.

Alors qu’il discute, assis comme un pacha sous une vaste tente, avec des « collègues » indiens acheteurs en gros (ils sont preneurs de 40 chameaux), Raoul assiste à une scène subite et violente : un chameau décoche un coup de patte foudroyant à un militaire qui se trouvait près de lui, le projetant au sol deux mètres plus loin. Nullement surpris, les « collègues » acheteurs expliquent à Raoul que les chameaux frappent et mordent sans prévenir. Enfin presque, car lorsqu’ils sont grognons ils vomissent une sorte de poche de viande baveuse et violacée qui pendouille de leur bouche comme s’ils allaient se retourner comme une chaussette. Le charme est rompu.

Les chameaux proposés ont beau être apprêtés, avoir les yeux faits au « eye liner », des boucles d’oreilles fines, des colliers et le poil tondu en dessins géométriques du plus bel effet, Raoul est gagné par la méfiance. Le chameau comme le cheval ou l’éléphant a un cerveau et des humeurs. Et en plus il est chameau.

En fin de journée Raoul retourne au stand des motos. Il y a là une petite Suzuki custom parfaitement stupide qui lui plait bien.

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