Du sexe des anges…

11 h du soir, les grilles des échopes sont cadenassées, les rideaux de fer baissés, les maisons à moitié finies succèdent à celles à moitié en ruine, des gens sont affalés sur le trottoir, la rue est à peine éclairée. Le bus file mais la vision reste la même. Les Piche sont ébahis devant une telle misère.

Après un long moment, ils parviennent au centre historique de Salvador.

Changement radical de décor.

Autour de Rose et de Raoul qui arrivent de l’aéroport en provenance de Brasilia une foule dense, des musiques qui s’entrechoquent, des vendeurs ambulants, des quémandeurs, des kiosques de boissons et de nourritures, des taxis, des policiers avec gilet pare-balle et pistolet au côté. Des projecteurs illuminent les superbes bâtiments alentour.

Avec leurs bagages sur le dos, les Piche ne se sentent pas vraiment dans la note. Une chose est sûre : ils ne sont plus à Brasilia ! Salvador Brasilia deux villes aux antipodes l’une de l’autre.

Très vite Rose et Raoul qui hésitent sur leur chemin sont entourés de conseillers-quémandeurs-emmerdeurs. Ils décident de ne pas poursuivre à pied vers leur hôtel pour ne pas être suivis dans les petites ruelles qu’ils doivent emprunter et sautent dans un taxi pour finir leur trajet.

Le premier contact avec Salavador est rude.

- “La première impression est toujours la bonne. Surtout quand elle est mauvaise”, rappelle Raoul à Rose qui espère bien que cette citation ne soit rien d’autre qu’un bon mot.

Après plusieurs jours, leur perception de la ville est plus contrastée. Clairement, Salvador ne ressemble à aucune autre ville du Brésil. Elle est débordante de vie. Dans tous ses excès. La musique omniprésente est forte, l’alcool y est fort, les voix et les personnalités y sont fortes. Première capitale du Brésil, principal lieu d’arrivée des millions d’esclaves venus d’Afrique, Salavador a conservé, perpétué, magnifié des pratiques, des arts et des croyances venues du Bénin et du Nigéria. Le Museu Afro Brasileiro en porte témoignage tout comme le musée du Bénin en plein Pelourinho, le lieu de vente des esclaves.

Pour ce qui est de l’art, les Piche sont preneurs mais pour les croyances ils ne sont pas clients. Le rabatteur qui voulait leur vendre une séance de Candomblé (hystérie collective mettant en jeu les Orixas des esprits qui, que …) s’est fait renvoyer dans ses buts.

Les Piche qui ne sont pas non plus trop clients de la religion dominante ont tout de même visité quelques unes des 365 églises (oui, oui, une par jour) que compte la ville. La plus célèbre, igreja Sâo Francisco, est aussi la plus laide intérieurement. Des boursoufflures dorées du sol au plafond, pas un centimètre carré sans sa feuille d’or ! Toutefois, cette visite a permis aux Piche de trancher une question qui les taraude depuis des années (et ils ne sont pas les seuls) : quel est le sexe des anges ? La réponse est là, à Salvador de Bahia, sur les murs de cette église. Les sculputres des anges ont toutes un sexe bien visible et il est masculin. Dans les autres églises un élégant drapé cache la chose. Cette stupéfiante découverte conduit Rose à un début d’induction mêlant église, anges masculins, petits garçons, tribunaux… qui, pour Raoul, manque un peu de rigueur.

A l’extérieur de ce nid à richesses ostentatoires, des pauvres attendent les visiteurs sur le parvis. Plus que des pauvres. Des êtres détruits par le crack et l’alcool qui tentent de trouver pour trois sous de survie. Les Piche ne cesseront de les croiser dans les rues du centre historique, tentant leur chance auprès de la moindre personne passant à portée de main. Un bus specialisé, très équipé, porte écrit sur son flanc “Le crack peut être vaincu”. A l’instant où Raoul photographie ce bus, un de ces pauvre hère passe dans le champ comme pour démentir le slogan volontariste.

Le coeur de Salvador avec ses maisons des XVIII et XIX siècles est magnifique, c’est lui et ceux qui animent ces quartiers, sans y habiter, qui drainent des millions de touristes chaque année.

Pour Rose et Raoul, le séjour prend une autre saveur. Venus à Salvador il y a trente deux ans en voilier depuis la France, ils sont là en pélerinage. Ils traquent les lieux qui ont compté à cette époque.

Pour eux ce modeste restaurant derrière l’ascenceur Lacerda, c’est le fameux “restau des putes”, leur cantine d’alors ! La fontaine qui offre généreusement et gratuitement de l’eau de source à Itaparica, l’île en face de Salvador, continue son office (depuis 1848 !). Elle leur servait à faire les pleins du bateau. De l’eau de source ! Un vrai bonheur. En revanche, la pléïade de voiliers qui mouillaient à l’abri de l’île n’y sont plus. Une modeste marina a poussé là.

Rose et Raoul ont tout de même rencontré un de ces fous de la mer qui vit encore sur son voilier. Ils ont eu des tas de choses à se dire autour d’un verre de caipirinha (alcool de canne à sucre, sucre de canne, citrons verts, glaçons, LA boisson d’ici). Les uns et les autres ont retrouvé le réflexe qui consiste, avant de s’asseoir, à regarder sous la table s’il y a quelques bouteilles de bière. L’habitude veut que pour éviter toute contestation, les consommateurs placent là les bouteilles au fur et à mesure qu’ils les vident. L’addition sera pour vous s’il en reste d’avant votre arrivée.

Signe du ciel (humm, humm), une pluie diluvienne s’abat ce matin sur la ville. Il y a trente deux ans c’était le moment pour la famille Piche de monter sur le pont pour prendre une douche d’eau douce et fraîche. Aujourd’hui, c’est celui de rester cloîtré dans une chambre d’hôtel. Heureusement, avec vue sur la baie “de tous les saints”  (”Bahia de todos os santos”).Tout de même.

A bientôt

PS Les Piche profitent de ce texte pour adresser un salut amical à ceux avec qui ils ont partagé de si bons moments, ici, dans la baie de Salvador, il y a trois décennies. Salut donc à Héphaïstos, Nuage, Dulcimer, Galopin, Chiloé, Maïo, Carpe Diem, Algorithme…

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