Le Caire, au coeur d’une révolution

Ce texte est une copie de l’article rédigé par les Piche pour le site Africamix-Le Monde (http://africamix.blog.lemonde.fr/) le 5 février 2011.

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05 février 2011

Raoul & Rose Piche, journalistes à la retraite, sont de grands voyageurs : tour de la Méditerranée puis tour du monde en voilier, Asie, Amériques, Australie, Moyen-Orient… et maintenant l’Afrique. Mariant L’Usage du monde aux réalités croisées, ils naviguent sur mer et sur terre au gré de leurs envies, des vents et des courants. Ils ont été rattrapés par le souffle de l’Histoire au Caire. Voici leur récit et leurs photos.

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(Le Caire) - « Le vendredi 28 janvier a été le jour de la première grande manifestation au Caire. Si le gros des manifestants s’est réuni place Tahrir, les jeunes et la police se font face dans une ambiance de gaz lacrymogène dans plusieurs autres quartiers. Des effluves dont bénéficient les passants, nombreux ce jour-là dans les rues. Tout le monde pleure.

Ici, arrêtés sur un pont, des badauds regardent, au loin, les affrontements avec la police et la fumée noire de pneus enflammés. Ils prennent à témoin de leur colère deux Occidentaux présents : « Nous sommes pauvres, tout est plus cher. On en a assez de Moubarak, qu’il parte ! ». Le ton, les gestes, tout exprime une profonde exaspération et une exhortation à faire comprendre le pourquoi de ces scènes dans les rues de leur ville.

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Plus loin, dans un quartier populaire, des jeunes passent juchés sur un pick-up hurlant « Moubarak ! » les pouces tournés vers le bas en signe de défaite.

Dans les cafés, les plus âgés, assis sur leurs chaises en bois, fument paisiblement la chicha tout en regardant les événements à la télévision. Dans les ruelles étroites des quartiers éloignés du centre, la vie continue comme si de rien n’était : le menuisier rabote, le repasseur repasse, le ferronnier soude, les enfants jouent, les femmes lavent. Mais, lorsqu’on se rapproche du centre-ville, la présence de la police se fait massive. Elle n’empêche cependant pas les habitants de se déplacer. Haut dans le ciel, on aperçoit des volutes de fumée. Ce ne sont pas des pneus qui brûlent mais quoi ? Où ? Le réponse viendra le lendemain. En attendant, la nuit tombe, les rues se vident sauf place Tahrir et dans son périmètre proche. Des bruits d’explosion, des tirs sont entendus dans la soirée puis le calme s’installe.

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Au matin, le bourdonnement puissant d’un gros hélicoptère de l’armée marque le signe du réveil. Ce bruit servira de fond sonore aux journées qui suivront, cet engin ne cessant de tourner au dessus du centre, ne s’interrompant que le temps de refaire le plein de carburant. Un après-midi, il sera fortement concurrencé par deux chasseurs à réaction, volant au ras des toits, dont les hurlements stridents réussiront à faire sortir tous les habitants aux fenêtres des maisons. Leur manège durera une petite heure. Une fois disparus du ciel, ils n’y reviendront plus, chacun s’interrogeant sur la raison de leur bruyant manège.

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Vers 9 heures le lendemain du 28 janvier, les gens, hommes et femmes, sortent peu à peu dans la rue. Les magasins sont fermés aussi bien dans la rue hypercommerçante Taalat Harb qu’autour de la place Bab el Louk. Plus aucun policier en vue. En revanche, plusieurs de leurs véhicules réduits à l’état de carcasses fumantes encombrent la rue El Mansour. Les badauds tournent autour en contemplant en silence ces signes patents des échauffourées de la soirée. Juste à côté, au carrefour avec la rue Mahmud Pacha, le centre des impôt ne vaut pas mieux que les cars de police mais personne n’y jette un regard.

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Place Tahrir, les chars de l’armée et les engins blindés de transport de troupe ont remplacé la police. Le contact avec la population est bon enfant. Couverts de slogans anti-Moubarak (dont les plus visibles seront effacés), les chars sont mitraillés de photos par les téléphones portables. On s’appuie sur les chenilles, on monte dessus, on prend la pose et on se fait photographier. Mais gare à l’imprudent, journaliste ou passant, qui exhibe un véritable appareil photo pour saisir ces scènes, il se fait vertement rappeler à l’ordre par les militaires : « Interdiction de photographier ! ».

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Depuis la place, loin, au-delà du musée égyptien, un immense building achève de se consumer. C’est celui du PND (Parti national démocrate), le parti au pouvoir (jusqu’à quand ?) de Moubarak.

Dans les rues, les policiers absents sont progressivement remplacés par des groupes de citoyens pour éviter les pillages et le chaos. Ils contrôlent les coffres des voitures, assurent un brin de circulation, surveillent. Au cours de la soirée, les commerçants, notamment d’appareils électroniques, avaient pris soin de vider leurs boutiques aidés par les nombreux bras de la famille et des amis. Des gardiens équipés de barres de fer étaient apparus ici et là, montant la garde pour protéger un bien. Impossible de les confondre avec les nervis plus jeunes qui plus tôt servaient d’auxiliaires malsains à la police.

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Jusqu’à la méga-manifestation du mardi 1er février, les jours passent et se ressemblent. Couvre-feu la nuit. Regroupement au matin, place Tahrir où chacun y va de sa pancarte pour exprimer à sa façon, souvent avec humour, sa volonté d’en finir avec Moubarak. Un atelier d’écriture s’est installé pour aider à ces compositions.

Les matins, les passants sont de plus en plus nombreux à chercher une épicerie ouverte. Celles, rares, qui lèvent leur rideau font le plein. Au fil des jours, elles seront plus nombreuses et les achats plus massifs, comme pour « tenir » plus longtemps. Les premiers commerces ouverts sont les tréteaux des marchands de journaux où s’empilent de nombreux exemplaires qui partent vite. En revanche, les mobiles qui semblent habituellement une excroissance naturelle de l’oreille de nombreux Cairotes ont disparu. Le pouvoir a coupé les moyens de télécommunication : plus de téléphonie mobile (rétablie par la suite), plus d’Internet et parfois plus de faisceaux satellite pour empêcher la transmission des reportages des équipes TV présentent sur le terrain. Commencées par un appel lancé via Facebook, les manifestations sont marquées du sceau des nouvelles technologies qui dès lors deviennent des cibles privilégiées.

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Mardi 1er février, une ambiance d’exode règne sur les avenues et sur l’autoroute conduisant à l’aéroport. Pare-chocs contre pare-chocs, les voitures, avec valises sur le toit progressent au pas franchissant barrage après barrage, chacun doté d’un char d’assaut, tourelle tournée face au trafic. A l’aéroport règne une pagaille noire. Mais, en dépit de nombreux retards, la plupart des vols décollent pour les quatre coins du monde. Pour les passagers, Le Caire c’est fini. Pour les habitants, tout ne fait que commencer. »

Si des lecteurs arabophones peuvent traduire la jolie calligraphie,
envoyez-la grâce aux commentaires. Merci.
Première traduction de Claire : “ Révolution pour la liberté du peuple ”.
Deuxième traduction de Yassine :  “ 25 janvier - Révolution du peuple - Liberté “.
Troisième traduction d’Amr : ” Peuple, révolutionne-toi - Liberté “.

Raoul & Rose Piche sont maintenant au Sénégal. Arrivés à Saint-Louis la belle, ils vont descendre tranquillement vers Dakar, pour assister au Forum social mondial. Ils reviendront bien sûr nous en parler dans ” la case à palabres “.

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