Les limites de l’extrême, le voyage en train Indien

Orchha, 1 mars 2003

Rose, Raoul, Martine et Etienne ont beau scruter chaque wagon du train qui entre en gare en roulant lentement devant eux, pas une place ne semble libre. Une fois à bord, Raoul et Etienne parcourent cinq à six voitures et voient leur première impression confirmée. Le train est plein. Et lorsqu’un train indien est plein, il est plein ! Enfin non, justement, les Indiens parviennent toujours à le remplir un peu plus. Ainsi feront nos voyageurs.

Rose et Martine se voient offrir deux petits bouts de banquette. Etienne s’installe sur un sac de voyage dans le couloir de passage et Raoul sur un bidon de 50 litres de “résine synthétique Flacofix”.

Le train est à peine en route qu’un mendiant jouant d’une flûte au son de cornemuse ouvre, sous le nez de Martine, un panier en osier d’où se dresse un cobra. Martine se ratatine sur son coin de banquette, mais refuse de céder à cette “mendicité agressive”. Suit un defilé qui oblige Raoul et Etienne à s’effacer pour laisser passer successivement : les vendeurs d’omelettes, de thé, de bonbons, d’eau, de samousas, de peignes et de stylos (dans le même paquet), de pistolets d’enfants, de crécelles (grrrr!!??!!##), de cigarettes, de plats cuisinés, de montres, de cacahuètes, de salades oignons-tomates-pois-chiches, de biscuits, sans compter le monsieur qui va faire pipi, celui qui en revient et tous ceux qui passent par là on ne sait trop pourquoi.

Etienne finit par repousser quelques bagages sur une couchette supérieure pour s’asseoir là-haut, ses jambes passant au-dessus de la tête des voyageurs assis dessous. Car ce train est un train couchette qui relie deux villes indiennes éloignées, en plus de 40 heures. Les passagers “habitent” ces wagons plus qu’ils ne les occupent. Après le second passage du charmeur de serpent, Martine, Etienne et Rose se plongent dans leurs livres ce qui intrigue fort autour d’eux. Dans ce train personne ne lit. Raoul quitte son pot de résine pour parcourir le wagon. Ici une personne allongée avec une serviette de bains sur la tête occupe toute une banquette inférieure (sa couchette) tandis que quatre personnes assises se partagent celle qui lui fait face; là des enfants sont installés entre les jambes d’un père ou d’une mère; ailleurs des musulmans barbus coiffés de leur calotte discutent; une famille de 23 personnes dont 8 enfants occupent un compartiment de 6 couchettes avec bagages et réserves d’eau. La plupart des gens sont correctement vêtus, voire un peu endimanchés pour ce long voyage. Valises, sacs de jute, sacs de toile, malles en fer blanc sont partout : dans le couloir, dans les espaces entre les sièges, sous les sièges, sur les couchettes supérieures, dans les intervalles entre les wagons, etc. A la moindre gare, le train marque un arrêt de près de dix minutes. Souvent il stoppe en pleine voie. A chaque fois, Raoul saute sur le quai ou sur le balast comme nombre de passagers indiens. Puis, lorsque le train redémarre, il retourne sur son pot de résine “Flacofix”. Le bébé de la voisine de banquette de Rose commençant à pleurnicher sa mère soulève son sari et lui donne très discrètement le sein. Les bébés indiens ne pleurent jamais très longtemps, chaque fois les mères répondent par le même geste.

Nouvel arrêt. Raoul quitte son pot, saute à terre et se dit que décidément ce train passe plus de temps immobile qu’en route. Nouveau départ. Cette fois-ci, Raoul reste en compagnie de deux Indiens assis face à la porte grande ouverte du wagon, les jambes sur les marches. Dans ses instants de bravoure, le train ne dépasse jamais 80 km/h, ce qui le rend plutôt confortable. Arrêt de près d’une heure dans la grande ville d’Allahabad. La nuit tombe. Les arrêts suivants s’effectuent dans des gares rendues obscures faute d’électricité. Dans le train, les passagers se préparent pour la nuit et soulèvent les dossiers des banquettes  pour les transformer en couchettes. L’espace vital se réduit considérablement pour les passagers assis “sans réservation”.

Neuf heures après avoir quitté Satna à 140 km de là, les faubourgs d’une grande ville approchent. L’allure se ralentit progressivement et finalement tel un cétacé épuisé l’immense train s’échoue le long du quai de Varanasi. Il n’aura fallu que 16 heures à Rose et Raoul Piche pour parcourir en bus puis en train en compagnie d’Etienne et Martine, les 240 km qui séparent Khajuraho de Varanasi, soit 15km/h de moyenne.

- On aurait pu le faire à bicyclette, lance Rose, goguenarde.

- Avec les sacs à dos, à bicyclette ? Tu y as pensé aux sacs à dos ? lui répond Raoul.

- Et les collines après Khajuraho, tu y as pensé aux collines ? lui dit Etienne.

Rose qui ne se voit pas pédaler dans les collines “après Khajuraho” avec son sac sur le dos s’avoue vaincue et reconnaît que les bus et les trains indiens “s’ils n’existaient pas il faudrait les inventer.”

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