Navigation à 6 noeuds et 3820m d’altitude !

Taquile, 27 janvier 2007

Le bateau file 5 à 6 noeuds.

L’eau d’un bleu intense sous un ciel pur reflète quelques cumulus joufflus.

Le petit port qui va accueillir l’embarcation est tout proche. Situé au bas d’une colline escarpée avec quelques arbres qui apportent une ombre salutaire, il évoque une halte méditerranéenne.

Les Piche s’imaginent naviguer en Grèce.

Mais non, cette navigation est plus exceptionnelle : pour la première fois de leur vie ils naviguent à 6 noeuds, certes, mais surtout à 3820 mètres d’altitude !

Raoul qui aime autant les bateaux que les avions est ravi par la synthèse que réalise cette petite embarcation qui les amène du port de Puno à la paisible île de Taquile sur le lac Titicaca.

Une fois débarqués, une épreuve attend les Piche : la montée au village grâce à 565 marches. A cette altitude, grimper quatre à cinq marches d’affilé oblige à marquer une halte et à prendre d’amples inspirations.

L’essoufflement guette à chaque instant.

Peu importe, le paysage est tellement beau qu’il est loisible de s’arrêter pour souffler tout en contemplant autour de soi.

Parvenus au village à 3950 mètres au dessus du niveau de la mer, les Piche sont invités à séjourner dans la famille de Bernardo. Dans la maison en adobe, on leur offre une chambre spartiate, propre, avec deux lits confortables comme tout mobilier.

Rose et Raoul font la connaissance de l’épouse de Bernardo, de leurs deux grandes filles et du petit dernier. Avec son frère Pablo, Bernardo accomplit petit à petit des travaux pour bâtir ce qui, un jour, sera un restaurant face à la mer, pardon au lac, avec une vue imprenable.

Sur l’île de Taquile on est pauvre, très pauvre même et la venue de quelques touristes constitue un espoir de ressources supplémentaires.

Mais, ici, point d’investissements capitalistiques, pas d’hôtel pour les groupes. L’accueil des étrangers est communautaire et les ressources offertes le sont uniquement par les familles.

Si l’on n’y vit pas, l’île est très agréable.

Aucun moyen de locomotion, pas de route, que des sentiers, pas d’électricité, pas de réseau d’eau et six cents maisons en adobe pour 2000 personnes vivant de l’agriculture et un peu du tourisme.

En se promenant, les Piche croisent des femmes en pull rouge vif, jupe noire bouffante sur des jupons colorés rouge, vert, jaune, avec une large écharpe noire terminée aux quatre coins par des pompons multicolores. Les plus jeunes sont parfois  accompagnées de leur époux en chemise blanche et paletot blanc et noir, très élégants.

Assise sous une arche au détour d’un chemin choisi par Raoul pour prendre des photos, Rose noue conversation avec un jeune couple. Elle a 20 ans, lui 23 et ils ont une petite fille de deux ans et demi…

Souvent, les femmes marchent tout en utilisant une sorte de filoir. Les hommes, quant à eux, jeunes et moins jeunes, marchent en tricotant leur bonnet de laine. Ils sont rouges avec une grande partie blanche pour les célibataires et entièrement rouge pour les hommes mariés.

Même Edgard, le fils de Pablo, une quinzaine d’années, tricote le sien.

- Je ne sais pas pourquoi, mais toutes ces personnes qui marchent en faisant autre chose me remémore cet ex-président des Etats-Unis dont on disait qu’il ne pouvait pas marcher et mâcher du chewing-gum en même temps, dit Raoul à Rose

- C’était Gérald Ford, celui qui se cassait régulièrement la figure en descendant les marches d’Air Force one, précise Rose.

- Heureusement pour lui qu’il a été président des Etats-Unis. A Taquile, il n’aurait jamais survécu, conclut Raoul.

Sur les sentiers, rares sont les personnes qui ne portent pas une charge sur leur dos.

Un tissu très coloré ceinture celle-ci ainsi que les avants bras, ses extrémités croisées sur la poitrine sont tenues par le porteur. Bien qu’habitués à l’altitude, les îliens de Taquile peinent néanmoins dans les montées. Les Piche ne retrouvent pas chez eux l’aisance des sherpas du Népal qui évoluent avec une facilité déconcertante à des altitudes supérieures.

Au détour d’un chemin, les Piche aperçoivent une maison qui se construit.

En début d’après midi seuls existaient les murs en adobe. Les travailleurs commençaient la charpente. En fin d’après midi, celle-ci était terminée et couverte par des tôles ondulées. Rose dénombre trente personnes en même temps sur le chantier !

Dans une ruelle étroite et pentue du village, Raoul aperçoit un papy qui se dirige avec difficulté vers sa demeure en s’appuyant sur un bâton, gêné par les pierres inégales qui dépassent du sol en terre battue.

Cette scène résume toute la difficulté de vivre ici. La beauté des lieux et des gens ne parviennent pas à masquer la grande pauvreté voire la misère qui dominent.

Pour les Piche vivre une journée dans une maison sans électricité, ni eau courante avec des wc dans une paillote au toit de chaume 50 m en contrebas est plutôt amusant. Mais cela leur rappelle, une fois de plus, que ces conditions de vie sont celles de centaines de millions de personnes dans le monde.

Et, si pour beaucoup cela n’empêche ni les rires, comme chez Bernardo, ni une forme de bonheur cela donne aux Piche le sentiment que les hommes qui occupent la terre au même moment ne vivent pas pour autant à la même époque.

En descendant vers la mer, pardon vers le lac (décidément…), Rose lance à Raoul une de ces observations concrète dont elle a le secret :

- As-tu remarqué, personne ne porte de lunettes ici ? Tu es le seul.

- Oui, c’est fou comme la misère rend la vue perçante…

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