Des bus sous protection divine, enfin presque…

Rivas, 9 février 2004

Le recyclage des “school-bus” jaunes qui peuplent les productions hollywoodiennes est général en Amérique centrale. Ils y vivent une seconde vie infiniment plus palpitante que la première. Devenus bus de liaisons entre villes, ils se transforment en flèches volant au ras du bitume.

Vu de l’intérieur le spectacle peut impressionner les âmes sensibles.

Pour se rendre à Rivas première ville du Nicaragua après la frontière du Costa Rica, les Piche empruntent un de ces engins.

Assis juste derrière le conducteur, ils peuvent apprécier le spectacle dans toute son ampleur. Des autocollants bariolés habillent l’espace autour du pare brise. Il y en a pour “Jesus”, “Victoria” (la bière nationale), “Pepsi”, le reggae et bien d’autres dieux encore dont un, apparemment, est concerné par la sécurité routière. Il assure le gros du travail.

Dès que le jeune chauffeur prend place au volant, il tire trois fois sur une chaînette, ce qui déclenche trois rugissements d’un puissant klaxon à dépression.

Les trois coups.

Le spectacle commence.

Le démarreur lancé, le moteur rugit, une foule de gens monte aussitôt, un jeune homme s’assied à l’extérieur sur l’aile avant droite. Le chauffeur branche la sono, on s’attend à la chevauchée des Walkirye comme dans Platoon mais non, ce sont des chants romantiques enamourés qui envahissent l’habitacle.

Le bus s’ébranle, avance lentement de quelques mètres puis s’arrête.

Des passagers descendent, d’autres montent.

Nouvelle avancée de quelques mètres, nouvel arrêt, klaxons.

A côté de Rose une femme se signe. Comment interpréter ce geste? En Inde, elle avait vu le chauffeur prier avant de prendre la route, ici ce sont les passagers qui en appellent à la protection divine. “Des deux, quel est le plus mauvais augure”, s’interroge Rose.

Le bus avance encore un peu, le chauffeur agite discrètement les doigts à l’attention d’une jeune fille qui lui sourit. Klaxons pour la belle. Regards complices. Raoul constate que le chauffeur a les yeux rouges comme s’il venait de nager 25 m sous l’eau dans une piscine chlorée.

Rose pense plutôt qu’il a fumé la moitié de la pampa avant de prendre son service. Toujours est-il que ce jeune homme est gai et décontracté au possible. La piscine ça détend. Nouveaux tours de roues, l’occupant de l’aile avant saute en route. Par la portière restée ouverte des jeunes gens se penchent à l’extérieur en criant “Rivas, Rivas, Rivas” pour attirer d’autres passagers.

Seconde, troisième… le bus prend enfin son envol.

Après trois kilomètres, il s’arrête.

Un taxi parti peu de temps avant gît dans le fossé. Klaxon amical pour le taxiteur. Bonne pioche pour les Piche qui ont obstinément refusé tous les taxis pour ce court trajet de 35 km.

Première, seconde, troisième le bus reprend sa trajectoire de boulet de canon. Sur la Transaméricaine, une belle départementale, il croise d’énormes semi-remorques “made in USA” aussi effrayants que dans “Le convoi”.

Quelques dizaines de centimètres séparent les mastodontes allant dans un sens, du bus de ramassage scolaire des Piche allant dans le sens contraire. Un croisement que le chauffeur accomplit les bras négligemment posés sur le haut du volant, le regard au loin contemplant la ligne bleue des Vosges.

La voisine de Rose reprend les chants diffusés par la sono. Raoul se demande si elle ne continue pas de prier. Les kilomètres s’effacent sous les roues. A droite, défile l’immense lac Nicaragua agité par un vent violent.

De coups de klaxon en saluts ici et là, le bus finit par entrer dans Rivas. Il quitte la Transaméricaine pour pénétrer dans le centre ville.

Début du final.

Plus les rues deviennent étroites et encombrées, plus le chauffeur accélère en klaxonnant à tout va.

Devant le boulet jaune qui fonce, la foule saute sur les trottoirs, les tricycles-taxi se garent. Les Piche sont éberlués. Même les Indiens des Indes n’en font pas autant !

En descendant, Raoul remarque un autocollant qui lui avait échappé où est inscrit “pour votre sécurité, attachez votre ceinture” (quelle ceinture?). Il pense qu’il eut mieux valu afficher “pour votre sécurité, ne montez pas dans cet autobus”.

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