Les Piche prennent le large

- On va traverser avec « ça » ? Interroge Rose, mettant tout le mépris du monde dans ce pronom démonstratif.

- Les bancas sont d’excellents bateaux, lui répond Raoul face à l’embarcation qui doit les conduire à 80 miles de là (140 Km) soit quasiment une traversée continent-Corse.

La banca des Piche est une barque en bois. Les flotteurs des balanciers sont formés de trois bambous reliés entre eux par du fil de pêche. Du fil pour la pêche au gros, tout de même. Elle est entièrement pontée et les passagers (12 au maximum) s’installent sur deux bancs de jardins vissés longitudinalement. Ils sont protégés du soleil par une toile tendue au-dessus des bancs.

- Tu ne trouves pas qu’il a belle allure notre bateau, avec ses formes élancées et graciles ? Ne dirait-on pas un hydroptère ?

- Gracile oui, c’est le mot juste et c’est ce qui m’inquiète. J’aurais préféré des formes massives plutôt qu’un hydroptère low tech. Et puis, dis moi, comment on monte à bord de ce truc ?

- Il faut tenir fermement la corde de rappel et descendre le long de la pente de la jetée. Mais fais attention, à cause de la boue déposée à marée basse, ça glisse !

Les Piche embarquent donc en rappel et font connaissance avec les autres aventuriers, pardon passagers, déjà à bord. Une famille de Vancouver et un couple de Français, tous joyeux et sympas.

Le départ est remis d’heure en heure.

« Le capitaine est avec les coast guards. Il arrive dans 5 minutes». Une heure et demie plus tard, le capitaine arrive effectivement.

Deux coast guards vérifient, depuis le quai, que les passagers enfilent bien leurs gilets de sauvetage. Qu’il n’y ait à bord ni poste radio VHF, ni compas ne se voit pas du quai, donc tout est ok.

Optimiste, Raoul pense que le capitaine doit être un excellent marin qui se repère à la position du soleil. Lorsque le ciel commence à se couvrir, Raoul s’interroge. Il sort une carte pour analyser la traversée et constate que pour aller de A (île de Basuanga) à B (île de Palawan) le bateau va naviguer à travers un dédale d’îles avec seulement une courte portion ouverte au grand large. Pas besoin de compas, la navigation s’effectue à vue.

8h, 9h, 10h, 11h… trois heures après l’heure théorique de départ, les amarres sont larguées. En poussant sur sa gaffe de bambou (tout est en bambou dans ce pays…), le second éloigne la barque des hauts fonds sur laquelle elle se trouve.

Marche avant toute. C’est parti pour 8 h de mer.

Le paysage qui défile est magnifique. Des plages de sable blanc enserrées entre de hauts rochers et noyées par de la végétation en arrière plan, apparaissent ici et là.

Soudain, le moteur s’arrête. « Déjà ! Lance un des joyeux passagers ». Un marin saute à l’eau. « Il s’enfuit? », « mais non, il vérifie l’hélice ». Cette dernière, débarrassée de ce qui la bloquait, le moteur est relancé.

Nouveau départ. La mer est calme, le bateau file 11 noeuds. Les Français s’acharnent sur leurs téléphones mobiles. « Qu’est-ce que vous faites ? » « Nous envoyons nos derniers sms », « Où ? »  « En France ». « Nickel, si nous coulons, il y aura au moins, en France, quelques personnes qui connaîtront notre dernière position».

Les îles succèdent aux îles. Les Philippines en comptent 7017 exactement, les Piche sont donc loin d’épuiser le sujet. Sur chaque plage apparaissent les mêmes paillotes et une ou deux bancas de pêcheur au mouillage.

Vient le grand large. Les exocets décollent devant les balanciers. Plus tard, ce sont des dauphins qui coupent la route du bateau. On approche de la grande île de destination.

« Nous tenons le bon bout », lance Raoul qui aurait mieux fait de se taire. A peine, a-t-il dit cela que la mer devient plus forte. Le capitaine ralentit l’allure. Les flotteurs émettent des craquements lorsqu’ils plongent dans les flots. Le haubanage mollit à chaque sollicitation un peu forte. Les passagers avachis à l’avant se replient sur les bancs de jardin après avoir reçu les premiers paquets de mer sur la tête. Un imbécile parle du ferry qui vient de couler en Indonésie, un pays voisin. « Il y avait du gros temps. Là il fait encore beau ». « Encore. Tout est là ».

Raoul qui suit la navigation au GPS est consulté par les uns et les autres. « Où sommes nous? ». « Là, indique Raoul sur sa carte relativement peu détaillée. A cette allure nous arrivons dans trois heures. Comme nous allons passer derrière les récifs de coraux la mer devrait être plus calme ». Raoul a tout juste. De craquements de balanciers en ralentissements gérés par le barreur, le M/BCA Overcomer atteint des zones plus paisibles.

A la nuit tombée, il pénètre dans la rade d’El Nido, sa destination, après une traversée finalement presque sans histoire.

Il ne reste plus aux Piche qu’à trouver une auberge pour la nuit. Une nouvelle aventure commence. Sans risque.

PS 1 Raoul ne peut s’empêcher d’imaginer la tête du personnel des affaires maritimes si un jour on leur présentait la même barque pour effectuer du transport public entre continent et Corse… sans parler de la tête des passagers !

PS 2 Pour les photos, les Piche demandent un délai. L’électricité est rare là où ils se trouvent

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