A chacun son ornière et sauve qui peut !

Cheng Yang, 19 mars 2006

“Il est un peu destroy le bus”, remarque Rose en contemplant l’engin campagnard que Rose et Raoul Piche doivent emprunter pour aller de Longsheng à Sanjiang. A l’heure dite, chargé d’oeufs, de sacs d’engrais et d’un bric à brac agricole que chaque passager emporte avec lui, le bus s’ébranle.

La route est chaotique, anciennement asphaltée elle comprend de nombreux nids de poule. L’asphalte disparaît bientôt. Petit à petit des ornières apparaissent, la route devient piste boueuse. Le bus met ses roues dans les traces existantes.

Ce n’est plus une route, c’est du tout terrain.

Le bus part en glissade de droite et de gauche en fonction de l’épaisseur de la boue. Mille fois il est sur le point de ne pouvoir continuer, mille fois il passe, au pas, mais il passe. De temps à autres, il escalade un rempart de boue et prend un angle de gite qui arrache des exclamations à Rose. Raoul la rassure “tant que nous ne sommes pas au-dessus d’une déclivité le bus ne risque pas de verser”. A peine a-t-il dit cela que l’engin franchit un passage en surplomb qui découvre, aux yeux horrifiés de Raoul, un bâti de béton portant une forêt de tiges d’acier pointées vers le haut tel un piège à tigre. “Si on verse, on s’empale” , pense-t-il.

Ca passe.

Une belle vallée se découvre sur la droite, très en contrebas. “Une glissade de trop et hop, le dernier plongeon !” . A intervalles presque réguliers le bus des Piche se retrouve face à des camions ou à des bus embourbés restreignant le passage. Il faut les savantes manœuvres du chauffeur pour résoudre le problème. Souvent, il doit créer une nouvelle voie dans les massifs de boue fraîche. A plusieurs reprises, cela nécessite une étude du terrain et des grandes discussions avec le chauffeur “d’en face”, ce qui permet à Raoul de quitter son siège pour aller photographier la scène.

Le bus peine de plus en plus à gravir les raidillons et leurs ornières maintenant profondes de 60 cm. L’odeur caractéristique d’un embrayage qui chauffe laisse à penser que la partie n’est pas gagnée. Bingo ! Le bus s’arrête, le chauffeur ouvre le capot du moteur fumant. Il bricole et repart.

Un peu plus loin les roues patinent, impossible de continuer. Le chauffeur se saisit d’une bêche, dégage la boue agglomérée devant le véhicule et réussit à débloquer la situation. 500 mètres de gagnés. Et ça recommence. Un coup de bêche, nouveau départ. Plus loin l’embrayage fume à nouveau. Arrêt. Caresses au moteur dans le sens du poil, ça repart.

Finalement, la piste disparaît pour laisser la place à un vaste terrain vague très large où la règle semble être “à chacun son ornière et sauve qui peut”. Les “embourbés” sont de plus en plus nombreux et les Piche commencent à penser que leur chauffeur est plutôt meilleur que les autres. Un artiste du volant. Du coup, ils lui pardonnent de les avoir arnaqués au départ de 30 yuans.

La “piste” constitue une attraction pour les villageois qui se massent à ses abords pour suivre les enlisements, les glissades, les manoeuvres. Ce sont les jeux du cirque. Finalement, tel Spartacus, le chauffeur du bus “830″ sort vainqueur du combat après 5 heures d’efforts et 66 km parcourus. Les Piche, qui depuis un moment font corps avec lui, sont également très fiers d’appartenir à l’équipe gagnante. Celle qui ne finira ni empalée dans un piège à tigre, ni écrabouillée au fond d’une vallée mais qui passera la nuit dans un lit douillet d’une maison de bois à Cheng Yang, rêvant de TGV et d’autoroute à quatre voies.

PS “Ne craignez pas d’être lent, craignez seulement d’être à l’arrêt”. Proverbe chinois.

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