Rivière, grottes, montagnes et couché de soleil au paradis

Vang Vieng, 26 février 2002.

Jambes écartées, pieds au raz du sol, Raoul Piche s’efforce de conserver à la moto qui avance au pas, une trajectoire parfaitement rectiligne. Il n’a pas droit à l’erreur. Le petit pont de bois qu’il tente de franchir ne dépasse pas un mètre de large. S’il perd l’équilibre du côté sans protection, la moto ira directement dans la rivière Nam Song, un mètre vingt en contrebas, avec lui dessus. S’il perd l’équilibre du côté de la main courante en bambou, dieu seul sait quel sera l’enchaînement des événements. Très tendu, Raoul parvient au milieu du pont ou se trouve le “péage” (1000 Kips pour les piétons, 3000 pour les motos, une misère, mais tout de même il faut payer). Rose Piche paye et lui poursuit son exercice d’équilibre sur les étroites planches de bois. Les 50 mètres de pont franchis, un second puis un troisième se présentent à lui avant qu’il ne parvienne à la rive opposée. La piste vers le village que Rose et Raoul veulent atteindre s’offre à eux. Tout au long du chemin les enfants les saluent d’un retentissant “sabadee!” auquel Rose et Raoul répondent par un tout aussi sonore “sabadee!”, trop heureux de rencontrer des gamins qui ne considèrent pas “hello” comme le signe universel de salutation. Rose fait observer à Raoul que les maisons dans les villages sont celles des trois petits cochons : maisons de paille, de bois et de briques. Le fait est que les cochons petits et grands sont nombreux dans les ruelles. Une race de cochons constructeurs.

En route, Rose et Raoul marquent une halte pour visiter une grotte, sans grand intérêt. En revanche, le site où elle se trouve relève du paradis. Une rivière aux eaux claires coule là, enjambée par un étroit pont couvert, en bois. Au pied du pont un grand trou d’eau forme une piscine naturelle, turquoise. Les poissons y nagent nombreux. En les regardant, Rose et Raoul réalisent qu’ils n’ont pas vu un cours d’eau avec des poissons aussi abondants et libres depuis des lustres. Un tel spectacle ne se conçoit plus que dans des bassins artificiels. Un arbre de grande hauteur qui sert manifestement de plongeoir aux audacieux, domine la vasque d’eau.

Raoul enfile son maillot de bain et plonge, suivi par Rose. L’impression de fraîcheur au premier contact se dissipe rapidement, l’eau doit être à 24 degrés comme mesurée lors d’un bain précédent avec Thierry, Etienne et Martine.

A nouveau sur la piste, Rose et Raoul atteignent un autre cours d’eau qu’il faut franchir à gué. Le niveau est bas mais tout de même… l’engagement signé par Raoul auprès du loueur de rembourser la moto 2500 dollars en cas de dégâts ou de perte le dissuade d’essayer. Les tracteurs taxi n’ont pas de tels scrupules et s’y engagent hardiment. Un tracteur taxi est une sorte de gros motoculteur démuni de ses outils aratoires, avec deux roues motrices, un guidon rallongé de près de 2,5 mètres et une remorque dans laquelle on charge passagers et marchandises. Le conducteur assis sur un siège au devant de la remorque, tient le guidon comme les rennes d’une carriole hippomobile. Le tout se déplace, d’ailleurs, à la vitesse d’un cheval au pas.

De retour à Vang Vieng, Raoul recommence son exercice d’équilibriste et franchit en sens inverse les trois ponts successifs. Par une nouvelle piste, Rose et Raoul se dirigent vers la grotte de Lusy où ils sont accueillis par un guide qui leur fournit deux lumières alimentées par des batteries de moto. Car la grotte ne comporte aucun aménagement. Ebahis, Rose et Raoul passent de salle en salle riches en stalagmites et en stalactites de toutes formes et de toutes tailles, avec l’impression d’en être les découvreurs. La voûte parfois très basse s’élève tout à coup à des hauteurs de cathédrales. Lorsqu’on éteint les lampes, le noir est absolu, impressionnant. Claustrophobes s’abstenir. Raoul se prend à penser qu’une panne de lumière rendrait totalement impossible le retour vers la sortie. Après vingt minutes d’un tel enchaînement de salles, le guide annonce précisément le retour. Mais Rose et Raoul ont vu qu’il y avait encore une salle et le disent au guide.

- Oui, on pourrait continuer, leur répond ce dernier, la grotte se poursuit ainsi sur trois kilomètres. Mais il faut compter 4 heures à l’aller et autant au retour. Cette marche doit se préparer.

Refroidis, Rose et Raoul acceptent sans rechigner de ne pas aller plus avant et de retrouver la lumière naturelle.

De retour, à nouveau, à Vang Vieng le coucher du soleil leur offre un spectacle rare. Devant eux, les rizières, les cocotiers, les bananiers et au loin, en arrière plan, une dentelle de massifs aux parois verticales recouvertes de végétation qui rappelle la baie d’Halong. Le soleil choisit de disparaître en tangentant l’une des parois verticales ajoutant à ce fabuleux paysage une note de magie. Autour de Rose et de Raoul une dizaine de personnes, assises à même le sol, contemplent également le spectacle. On les sent prêtes à applaudir tant de beauté. Mais personne n’ose. Il faut être un peu sauvage pour saluer le soleil. Or, il n’y a là que des gens civilisés. Des gens dont la vie, pourtant, ne tient parfois qu’à la lumière électrique d’une batterie de moto.

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