Une symphonie de couleurs et la misère aussi

Chichicastenango, 16 mars 2004

Le visage sculpté de rides profondes qui semblent avoir mille ans, une clairière de cheveux gris, un regard blanc perdu dans le vide, des bras décharnés, la vieille femme indienne est assise à même le sol.

Posés devant ses pieds de corne, nus et crevassés, six morceaux de résineux.

Tout son commerce.

Une foule qui l’ignore défile au-dessus d’elle, les chalands du marché de Totonicapan se pressent vers des éventaires plus colorés, plus riches, plus séduisants que le sien.

Elle est l’exception que le regard oublie, tant il est absorbé par l’infinie variété des couleurs et des objets pour lesquels on vient ici.

La couleur est avant tout celle des vêtements des indiennes.

Jupes tissées, corsages aux motifs brodés ou crochetés alliant harmonieusement une large palette de coloris où dominent tantôt le bleu et vert, tantôt le rouge et jaune, tantôt le noir, le blanc et le rose lorsque ce ne sont pas des tons fluos surprenants.

Acheteuses ou commerçantes sont nombreuses à porter un bébé enveloppé dans une couverture bigarrée très serrée sur leur dos. Le petit être est totalement invisible au regard lorsqu’il est juste né. Sa tête dépasse lorsqu’il a quelques mois.

Le portrait serait charmant si ces femmes n’étaient pas si souvent précédées par deux, trois ou quatre gamins dont la taille forme une éloquente pyramide des âges.

Aux yeux de Rose, le pittoresque ne dissimule pas la vie pitoyable de ces femmes au sourire si rare qu’elles ne transmettent même pas ça à leurs enfants.

- Comment veux-tu qu’un enfant sourie si sa mère ne lui sourit jamais, fait remarquer Rose à Raoul en déplorant l’absence d’expression de nombre d’entre eux.

Les marchés Guatémaltèques de Chichi (Chichicastenango), de Toto (Totonicapan), de Solola ou de Zunil sont autant d’arcs en ciel de tissus, de végétaux ou d’objets peints à l’apparence joyeuse.

A l’apparence seulement.

“Est-ce parce qu’il est si coloré que le spectacle d’une certaine pauvreté paraît magnifique aux yeux de ceux qui possèdent tout?” s’interroge Raoul.

Il est vrai que sur ces marchés, les yeux se portent à chaque instant sur de véritables tableaux vivants.

Sans trouver la réponse à son interrogation, Raoul tente de saisir quelques visages, aussi discrètement que possible.

Une dame âgée tenant un éventaire d’épices et de plantes naturelles, une jeune femme enceinte crochetant sur son stand de tissus ainsi qu’un vieux monsieur édenté vendant des vêtements sur le trottoir ont par deux fois gâtés Raoul-photographe.

La première lorsqu’ils ont accepté d’être photographiés.

La seconde en gratifiant Raoul d’un sourire de ravissement lorsque le “photographe” leur a remis un tirage papier de cette prise de vue.

Ils pensaient recevoir un cadeau alors que c’étaient eux qui en faisaient un.

Dernières étapes des Piche : Quezaltenango, Totonicapan, Zunil, San Cristobal de las Casas, San Juan Chamula

Etapes probables à venir : Cañon del Sumidero, Palenque, Agua Azul

Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.